La transformation générale de la nature du savoir à l’ère du réseau passe par sa numérisation.
La recherche, l’acquisition, la transformation et la diffusion du savoir passaient autrefois par le transport et hier les médias de masse.
On peut affirmer, sans provoquer de remous, que le réseau des réseaux est en mesure de modifier cette nature même du savoir, de la même façon que les mass-média ont changé la nature de la culture.
La blogosphère comme incubateur
Dans la blogosphère une certaine connaissance profane se développe parallèlement au savoir académique : si ce dernier n’est pas traduit dans un premier temps sous forme numérique à une adresse web et dans un deuxième temps sous forme de vulgarisation, il y a peu de chance qu’elle se diffuse dans le public ou du moins qu’elle suscite l’intérêt du public. Et la connaissance profane dominera sans partage.
L’hégémonie actuelle de la blogosphère, la montée en force de ce que j’ai appelé la société des chroniqueurs, imposera un ensemble de prescriptions pour légitimer les nouveaux énoncés du savoir.
C’est un secret de Polichinelle que de révéler que les carnets déstabilisent les engins de recherche. En poids, en fréquence et en activité ils prennent de plus en plus de place. Les algorithmes des moteurs de recherche favorisent ces attributs. Les blogues sont des percolateurs d’information, pour reprendre une image que m’a transmise un jour Jean-Sébastien. Et font donc écran à des informations plus « lourdes » comme celle des académiciens.
La blogosphère des chroniqueurs agit comme les chroniqueurs des médias traditionnels, et la rejoint, en réitérant l’éternel discours sur le discours : elle relaie des opinions sur des opinions.
Les académies hors course?
Le nouveau savoir qui se développe fait fi des recherches académiques parce qu’elles ne sont pas disponibles. Particulièrement dans la francophonie. Une action sur le web est source d’expérience. Par action j’entends ici un travail de communication comme les carnets ou les messages dans les carnets.
Surfer sur le web ne modifie pas le web. Mais dès qu’on se met à réfléchir à la structure d’un billet, d’un commentaire ou d’une modif sur un wiki, on participe à ce nouveau savoir. [on le modifie, aussi].
Rappelez-vous les premiers instants dans la blogosphère : la fascination que procurent les traces résultantes des actes de communication d’internautes. Un monde s’ouvre à vous. Une sociabilité nouvelle se crée par l’intermédiaire des carnets, basée sur une volonté manifeste de comprendre la pensée de l’autre.
Alfred Schutz disait : « Toute interprétation est fondée sur une réserve d’expériences antérieures, qui sont nos propres expériences et celles transmises par nos parents et professeurs. Elles fonctionnent comme un cadre de référence sous la forme d’une ‹‹ connaissance disponible ›› » (cité par Regis Bectarte (PDF de son mémoire)
Quelle est la nature de cette connaissance disponible?
François Guité mentionnait il y a quelque temps des études de type académique sur un sujet en vogue actuellement dans la blogosphère : la folksonomy. Ce type d’étude n’est pas une opinion sur une opinion, mais bien de la nouvelle connaissance et, à mon avis, montre de quelle façon les académiciens peuvent alimenter le discours dans la blogosphère : réduire [la proportion de ] la rédaction d’opinion sur une opinion [en augmentant la proportion de travaux académiques.]
On pourrait aussi argumenter que la blogosphère influence trop les sujets d’étude des académies. Si la folksonomy est un nouveau terme et que la notion de classification distribuée en ligne paraît nouvelle, la problématique théorique de la catégorisation dite « folk » [n’est pas nouvelle, loin de là, et] peut être rattachée au moins à la recherche en linguistique et en sémiologie [dans les dernières décennies].
Par exemple : l’intérêt scientifique devrait davantage porter à étudier la formalisation des négociations de sens à grande échelle. La blogosphère profane s’intéresse, elle, davantage à la catégorisation elle-même en tant que pouvoir émergent.
N’y a-t-il pas là en fait un symptôme que le statut du savoir change? Les anciennes institutions ne sont plus les seules à promulguer la légitimité d’une connaissance.
Dont acte.
[modifications apportées entre crochets en oct. 2007]
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Deux petits ajouts, après relecture.
1. Par ‘savoir académique’ j’entends principalement celle des ‘sciences molles’. Les sciences pures n’ont pas le même problème de circulation de l’information.
2. Je n’arrive plus à retracer qui disait que « les médias sont des opinions sur des opinions ». Les blogues ne font pas exception.
Re-thinking science: knowledge and the public in an age of uncertainty By Helga Nowotny, Peter Scott, Michael Gibbons