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Culture en péril – analyse du phénomène

« Culture en péril » est devenu le premier grand phénomène viral au Québec depuis les têtes à claques. Elle est aussi la première pièce virale francophone des élections en cours.

Culture en périlAux auditeurs qui arrivent de la radio de Radio-Canada, bienvenue.

Vous trouverez dans ce billet des informations supplémentaires suite à l’interview que j’ai donné en fin d’après-midi sur ce sujet. Vous trouverez aussi certains autres billets sur le thème des vidéos virales ici. Les plus curieux se régaleront avec le menu de mes meilleurs billets ici.

[Note de mercredi soir: je vais mettre à jour le billet pendant encore plusieurs jours, en particulier les statistiques]

Historique
Posté jeudi dernier en fin de journée sur Youtube, le nombre de visionnements a explosé entre vendredi et samedi et la vidéo se retrouve, au moment d’écrire ces lignes, en septième position sur Viral Video Chart.

On peut sentir un ralentissement dans la vitesse de propagation, car il est peu probable que l’accélération se maintienne toute la semaine. L’écho dans les médias traditionnels cette fin de semaine et aujourd’hui a sûrement fait le plein et la vidéo devrait suivre une courbe croissante beaucoup moins prononcée que dans les prochains jours.

La vidéo
Un jury conservateur, parlant un français approximatif et à la culture étroite, s’emmêle dans les explications d’un chansonnier venu demander des subventions gouvernementales, croyant comprendre «fuck» [un juron grossier] lorsque celui-ci chante La complainte du phoque en Alaska ou « tits » [mamelon] pour p’tite. La scène se termine par le rejet du candidat supposément parce qu’il ne représente pas assez la « culture du pays ».

Les auteurs du vidéos, outre les 3 acteurs connus, ne sont pas identifiés. Une version de 8 minutes circulerait circule et sera vraisemblement a été présenté à un événement d’artistes demain selon une information obtenue par Paul Cauchon du Devoir.[mise à jour mercredi24 sept. 2008]

[mise à jour mercredi24 sept. 2008] La version longue possède quelques gags supplémentaires, mais le propos s’éternise et la version courte a fait une très bonne job de synthèse qui rend moins punché la version longue.

Stats
[Note: dernière mise à jour des stats vendredi 25 sept 2008 11h40]
La progression ressemble à peu près à ceci (les chiffres varient d’heure en heure, donc j’arrondis)
vc= version courte originale seulement
vl=version longue originale seulement
vd= cumulés –tous duplicata confondu
Jeudi (soir) 3000 [vc]
vendredi (matin) 6000 [vc]
Samedi (matin) 120000 [vc]
Dimanche (soir) 240000 [vc]
Lundi (soir) 375000 [vc]
Mardi (soir) 400000 [vc] ; 520000 [vd]
Mercredi (matin) 422000 [vc]; 1000 [vl]; 625000 [vd]
Mercredi (soir) 442000 [vc] 10000 [vl]; 690000 [vd] *
Jeudi (pm) 460000 [vc]] 19000 [vl]; 709000 [vd]
Jeudi (pm) 475000 [vc]] 29000 [vl]; 760000 [vd]

Réactions
Les réactions ont été très diverses. Tous l’ont trouvé très drôle, mais les critiques négatives tournaient autour de ces thèmes:

-1) Stratégiquement mauvais pour l’image des artistes (Chantal Hébert)
-2) Mauvais usage de la caricature des Anglos (Pierre Cayouette)
-3) Absence de signature au vidéo (Michel Dumais)

Ces personnes ne sont pas nés de la dernière pluie. Mais sans rien enlever à ces grandes plumes, il serait temps de dire comme Freud : «Quelquefois un cigare est un cigare.» Ne tentons pas trop d’extrapoler. Leurs questionnements ne manquent pas de fondement, mais, hé, parfois un sketch comique est un sketch comique.

(On dirait qu’on interdit à quiconque d’ouvrir sa trappe si ce n’est pas pour sortir soit un chef-d’oeuvre universel à la Stanley Kubrick, soit une stratégie immortelle à la Sun Tzu ou Machiavel.)

Je pense, comme Michael Geist, que ce vidéo offre une façon très efficace de relancer le financement de la culture comme enjeu des élections (« provides a far more effective way to make cultural funding an election issue. » ). C’est déjà commencé, avec Daniel Lessard à Radio-Canada.

Quant à l’humour kafkaïen d’un chansonnier francophone au pays des red necks, elle est bien plus une satire de la schizophrénie culturelle d’un pays surdimensionné et sous-peuplé avec deux langues dites officielles que la ridiculisation d’une classe de citoyen comme on l’a vu de façon plus cru dans le passé avec I am NOT canadian (qui est hilarant quand même).

Mécanisme
La vidéo possède les caractéristiques d’un bon viral: aucun push de départ, que du pull organique.

Comme je l’ai déjà dit: un viral fonctionne d’autant mieux quand il correspond aux attentes du terrain où il se diffuse: rien de tel qu’un bon terrain fertile pour prospérer.

Un viral possède un terreau fertile avec le web, mais il aspire toujours à trouver un vecteur de propagation plus efficace et ce sont les médias traditionnels.

Les journalistes étant sur le pied de guerre à cause de sélections, c’est effectivement un bon temps pour espérer traverser la rampe et passer sur les ondes ou dans les pages des quotidiens.

En général, contrairement à ce que l’on pourrait penser, un viral peut profiter d’un grand évènement « dans la vraie vie ».

Par exemple, le super bowl ou la coupe du monde (ou tout événement qui occupe l’attention du public), sur certains index, palmarès, et autres listes de destinations à la ZeitGeist, apparaître à côté d’un lien populaire peut permettre, par osmose, une visibilité accrue dans les médias ou pour le public.

Mais en général, être proche de la sensibilité des journalistes aide beaucoup.

Parasitage
Comme pour tout phénomène viral, vous verrez les parasites vouloir profiter de la notoriété du mot clé « culture en péril ». Juste sur Youtube, toutes les « vidéo réponses » sont du spams (sauf un) et plusieurs autres vidéos ont depuis hier le même titre pour capturer votre attention (voir le Bloc Québécois, ou ceux du grand public qui promeuvent des arguments à 2 sous MAJ la vidéo a été retirée).

On voit aussi des duplications qui commencent à se propager (comme la version sous-titrée anglaise), le clip étant repris à gauche et à droite. Il devient difficile d’avoir un chiffre net et clair.

À observer
Le nombre de 375000 n’est pas nécessairement impressionnant, sur une population de 7 millions, même si ce n’est plus négligeable –mais ce n’est pas un raz de marée*.

* [mise à jour mercredi soir 24 sept 21h00] je me demande si je n’ai pas sous-estimé la vague –c’est peut-être un raz de marée. En mesurant sur une journée complète on voit que la vidéo a pris près de 70000 visionnements de plus. Mais il faut dire que les médias en ont encore remis ce matin suite à la rencontre des artistes à ce propos hier soir. S’il fait 1M d’ici jeudi soir, c’est effectivement impressionnant. [mise à jour jeudi pm: 3/4M seulement.]

Et comme les médias ont dépensé toutes leurs munitions sur ce sujet (il est peu probable qu’ils en reparlent par la suite), nous sommes devant un cas de lancement d’une vidéo qui est sur sa lancé sans espérance d’être aidé de nouveau: alors, on pourra isoler la vraie force du bouche à oreille dans une ou deux semaines (au delà, il sera difficile d’éviter une débordement dans le reste de la francophonie et il sera plus risqué de mesurer en rapport avec la population québécoise).

Si vous vous intéressez au phénomène du viral vidéo dans le cadre des élections du gouvernement central, suivez Yves Williams. (MàJ vendredi 26 sept: et en particulier son analyse du phénomène Culture en péril)

MàJ: autre billet sur le sujet
Les mystèrieux commentaires manquants

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

9 thoughts on “Culture en péril – analyse du phénomène

  1. Concernant les réactions négatives à la vidéo, je pense que le « contexte » joue un rôle fondamental dans l’évaluation qu’on en fait. En effet, ce sketch diffusé dans un contexte d’émission de fin d’année (ex: Bye Bye!) ou d’émission satirique telle que « This hour has 22 minutes » n’aurait pas généré autant de commentaires négatifs. À mon avis, c’est le fait que ce soit un outil volontairement politique qui amène les gens à poser un regard plus critique. On ne peut détacher le message du contexte.

  2. Sébastien, bon point.

    En autant qu’il faille choisir le bon contexte: à l’écriture du scénario ou au tournage, je ne suis pas sûr que les élections avaient été déclenchés. (Je le vois comme une réponse direct au coupure budgétaire et ne se voulait pas nécessairement un message électorale).

    Ceci dit, on ne peut ignorer qu’il a été diffusé pendant une campagne électorale et en ce sens on est en droit d’y voir un geste politique.

  3. Il est difficile de croire que le tournage n’ait pas eu lieu après le déclenchement des élections. Et même si ce court métrage avait été écrit ou diffusé avant la campagne, il resterait un message politique.

    Le titre et surtout, la finale du clip, qui rappelle les multiplicateurs économiques de la culture (issus du Conference Board!), montrent bien qu’il ne s’agit pas d’un exercice humoristique.

    Le contexte reste électoral, que ce soit circonstanciel ou non.

    Par ailleurs, pour les chiffres de diffusion (rendus à 520 000 en ce mardi matin, sur YouTube, ce qui semble montrer que le virus court toujours), je me demande si ces chiffres comprennent les visionnements sur des blogues comme celui de Patrick Lagacé ou celui de Dominic Arpin ou encore les reproductions sur Facebook…

    Si c’est compté, c’est déjà pas mal. Si ces visionnements dans d’autres pages ne sont pas comptés dans ces chiffres, on peut parler de raz-de-marée, je pense…

  4. Rémy, j’imagine que si on compte les multiples copies et que ce décompte fait un demi-million, alors vous avez raison. Je n’ai pas la patience de faire le recensement.

    Que le tournage se soit fait durant la campagne, c’est plausible. Mais je crois que toute l’intention et le message était pensé comme un message de pression (qui aurait été classique avant les élections mais qui a maintenant une autre saveur depuis les déclenchements).

    Je reste persuadé que le message original ne se voulait pas _électorale_ mais puisque le contexte a changé en cours de route, il l’est devenu.

    Mais je me prononce pas plus, pcq au fond, c’est aux auteurs de se dévoiler. J’assume que moi aussi je cherche à interpréter à ma manière ce phénomène. Et la vidéo prête flan a bien d’autres interprétations.

  5. Tu dis: « On dirait qu’on interdit à quiconque d’ouvrir sa trappe si ce n’est pas pour sortir soit un chef-d’oeuvre universel à la Stanley Kubrick, soit une stratégie immortelle à la Sun Tzu ou Machiavel. »

    Vraiment? Quelqu’un, dans sa critique du clip, a dit quelque chose qui s’apparente à ça en terme d’intensité? Je suis surprise que tu réagisses si fortement aux critiques qui se sont faites en général de manière beaucoup plus nuancée.

    Tu dis aussi: « La vidéo possède les caractéristiques d’un bon viral: aucun push de départ, que du pull organique. »

    Je n’ai pas de preuve du contraire, mais j’ai des doutes que ça n’ait été que du « pull organique ». J’ai eu l’impression que bien des journalistes du culturel ont été avertis de la mise en ligne du clip. Je doute qu’on ait simplement mis le clip sur YouTube et attendu que quelqu’un tombe dessus par hasard, sans distribuer de l’information. Encore une fois je ne peux pas le vérifier, mais je crois qu’il y a eu une certaine organisation au niveau de la diffusion et une connivence avec quelques chroniqueurs et journalistes.

    Il fallait entendre Monique Giroux à l’émission « Fréquence Libre » encourager toutes les 10 minutes ses auditeurs à aller voir le clip sur YouTube, clip sur lequel elle disait vaguement être tombée grâce à un collègue qui lui avait crié l’adresse en passant dans le couloir. Ouin.

    Mais sinon, bon travail de récapitulation de ta part! Ça représente beaucoup de travail de veille.

  6. Martine, merci, je dois préciser ma pensée.

    Ma foi, on dirait que j’ai tendance à augmenter « l’intensité » des reproches. Ça fait deux fois que tu me le fais remarquer.

    C’est peut-être moi qui le prends trop personnel. Les exceptions ne font pas la règle (il y avait une vidéo vers lequel que je pointais qui a été maintenant retirée).

    Quant à la notion de « organique » je veux dire qu’il vient non pas d’un travail de RP ou de publicité. Les journalistes ou Monique Giroux n’ont pas fait ça sur commande.

    Que les journalistes, sympathiques à la cause, aient moussé le viral, ça ne sera pas la première fois qu’ils mettent de l’avant leur agenda.

    Mais les promoteurs du vidéo ont fait un minimum de push (en envoyant la vidéo aux bons relais) et le reste vient d’une pulsion « organique » de la relayer « en soi ».

    Ce que tu constates, c’est que la sphère médiatique a été le relais principal du viral. Et peut-être qu’en ce sens il faut y voir que ce viral n’est pas véritable « grassroot ». Comme l’a été les têtes à claques…

    Bon point!

  7. Merci pour les précisions sur ta notion « d’organique ». Je vois mieux ce que tu voulais dire.

    Difficile de ne pas prendre tout ça très à coeur ou personnel, j’avoue. Le sujet de la vidéo touche une corde sensible. C’est à la fois sa force et son talon d’Achille. Et en période d’élection, nous sommes tous un peu plus sensibles que d’habitude, je crois!

  8. Dans les critiques négatives venant de gens généralement brillants, tu peux ajouter Yves Boisvert sur cyberpresse:
    http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/yves-boisvert/200809/22/01-22237-fous-de-culture-les-quebecois.php et Michelle Blanc chez elle-même:
    http://www.michelleblanc.com/2008/09/22/culture-en-peril-democratie-perilleuse/

    Personnellement, je suis de ton bord en appréciant toutes les qualités d’écriture, de jeu, de réalisation, de photographie et de production de « Culture en péril ».

    Bien sûr qu’il y a des défauts, mais qu’est-ce que c’est réjouissant et rafraichissant au milieu des discours blèmes et catastrophiques environnant! L’empressement de tous ces gens formidables (dont certains sont mes amis) à ne souligner que les manques et les dérapages de ce petit chef d’oeuvre me laisse pantois.

    Dans le contexte Web 2.0 de mon travail, quand des gens font une participation qui se démarque, on commence par les remercier, les féliciter et les encourager. Ce n’est qu’ensuite qu’on peut ajouter: « La prochaine fois, ça pourrait être encore meilleur en essayant peut-être un peu plus de ceci ou un peu moins de cela. »

    Bref, j’aurais plutôt envie d’encourager les auteurs du vidéo à en faire d’autres que de les écoeurer. Si on ne regarde que les qualités de communication du vidéo, et son attitude de complicité avec le public (au lieu de la condescendance dont nous accablent tous ces politiciens qui nous veulent du bien), on peut dire que les auteurs et artisans de « La culture en péril » mettent la barre assez haut. Je les en remercie et je mets au défi la classe politique de communiquer avec autant de compétence.

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