La blogosphère anglophone en parle sans arrêt depuis le milieu de cet été.
Teachers say no-one should ‘fail’ It’s a deferred success.
En Grande Bretagne, des enseignants ont proposé de remplacer « fail » par « deferred success », c’est à dire « échec » par « succès en latence » (ou quelque chose comme ça). Source BBC
On comprend l’idée : on cherche à éviter d’ostraciser le pauvre étudiant (oups, apprenant) dans son échec scolaire. Le succès n’est seulement pas encore au rendez-vous, il n’a pas « coulé ».
« (…) repeated failure, such as in exams, can damage pupils’ interest in learning. (…) Elsewhere we applaud those who persevere, like marathon contestants who take days to complete. It’s time we made the word ‘fail’ redundant and replaced it with ‘please do a bit more‘ »
Nice try. On reconnaît au moins que les mots peuvent blesser ou enfermer quelqu’un dans une image. L’enseignement est pavé de bonnes intentions : il s’agit de ne pas enfermer un enfant dans son échec, pensent-ils.
Pourtant par le fait même ils créent un monde où nous sommes condamnés au succès, où la voie est toute tracée d’avance. C’est un système sans extérieur, où il n’y a plus de voies alternatives ni de moyen de repenser le système autrement que de l’intérieur -et Dieu sait que c’est difficile.
Et alors? Faillir dans un système ne veut pas dire que l’élément qui a failli est en faute! C’est peut-être le système qui n’est pas adapté à l’élément ! Mais on ne pourra plus le penser car tout le monde va réussir… Bourdieu dirait « C’est un rapport au monde complètement déréalisé ». Un monde d’échec et de succès nous fait grandir…
Orwell a fait apparaître la novlangue 21 ans trop tôt…
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PS: Je ne peux m’empêcher de vous inviter à vous régaler avec les citations notoires recueillies par André Duny sur le système scolaire comme moule des esprits et les injustices collectives en général.
Voici quelques exemples:
« L’homme libre ne doit rien apprendre en esclave » (Platon, La République,6)
« Se faire sa propre opinion, n’est déjà plus un comportement d’esclave » (J.J. Rousseau)
« La soumission à la pensée collective dispense de penser individuellement. » (Freud)
« Le système scolaire contribue à convaincre chaque sujet social de rester à la place qui lui incombe par nature et de s’y tenir » (P.Bourdieu. La reproduction.)
« L’école n’apprend pas à réfléchir, car ce serait cette réflexion qui la remettrait en cause » (A.Gide, Les nourritures terrestres.)
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Le fait qu’on refuse de parler d’échec donne à penser qu’un échec constitue une tragédie majeure. On choisit de faire de l’échec un tabou, au lieu de mettre les choses en perspective en faisant saisir à l’élève que ce n’est qu’un échec scolaire, qu’il ne s’agit que du domaine scolaire, que l’élève n’est pas dans sa vie seulement un acteur dans le domaine scolaire, qu’un échec scolaire ne déterminera pas le cours de sa vie, que dans la vie il y a aussi l’activité physique, les relations sociales, la vie intérieure, la vie familiale, la volonté, le hasard, toutes sortes de choses qui font que la vie est riche et qu’elle n’est pas déterminée par la réussite scolaire. Les gens qui oblitèrent l’échec scolaire en refusant de l’appeler par son nom ont comme la tête prise dans une boite, ils ne voient rien, ils n’ont pas de perspective. « Think out of the box » disent les anglophones.
En effet, comme c’est bien dit. Je rajouterais: quelle hypocrisie!
Les échecs font partie de la vie. On ne peut pas blinder nos enfants contre tomber, se tromper, se faire rejeter. « deferred success », pour moi c’est plutôt une bombe à retardement, parce que la premiere fois que l’enfant aura un échec hors de ce micro-système, ça va être une catastrophe pour lui, il ne sera pas préparé, outillé. Il serait plus positif et efficace de prendre le problème de l’autre côté en travaillant l’estime de soi et le respect des autres.