Les blogs se distinguent des pages webs par son public. Une page web, disons une site consacré aux collections de figurines historiques, aux météorites ou tout article de Wikipedia, ont un lectorat, certes, mais pas un public. L’information déposée sur un serveur ne possède pas de public précis. Elles utilisent le web comme canal pour aller retrouver son lecteur dans des niches.
Le progéniteur d’un blog se préfigure un lecteur-modèle, par le choix d’une langue, d’un sujet, d’une voix. Il se crée un public par la répétition, le rendez-vous.
Par public, je précise, j’entends une construction a-priori de celle-ci. Pas des statistiques. Une page web a x visiteurs. Un blog a un public de y ou z personnes qui reviennent sur un site à la recherche du dernier ajout. (voir mon billet sur la différence entre Blogger et Géocities à ce propos)
Le blog est une page web qui possède un public
Cette définition a l’avantage d’inclure dans la famille des carnets, Jean-Pierre Cloutier, le grand-père des carnets (avec sa défunte Chronique de Cyberie). Elle met de côté les détails techniques (commentaires, backlink, permalien, etc) qui ne sont qu’une mécanisation de la fonction. La chronique de cyberie n’a aucun lien de parenté (du point de vue technique) avec les outils de blog d’aujourd’hui, mais elle est néanmoins un carnet, essentiellement, un web log…
En fait le blog n’est qu’un outil technologique, le « microphone réseau », qui permet au chroniqueur de diffuser sa chronique. A parler des « blogs », et il n’y a rien de mal à parler des « blogs », on laisse dans l’ombre les « chroniqueurs ». Comme si on se serait émerveiller des « micros » au début du siècle ou des « caméras » ensuite, pour parler de la radio et de la télévision. Ces outils ne sont en fait que le vecteur d’un phénomène nouveau : les mass-medias.
En focusant sur les mass-médias on transcendre l’outil. On s’attarde sur ce qui est la véritable rupture.
La rupture
Les blogs ont apporté cette rupture. Cette rupture, c’est la société des chroniqueurs dont j’avais parlé en début d’année. Le grand public peut espérer atteindre la masse. La technologie permet l’amplification de la sphère privée (ou du moins les réflexions de la sphère privée) sur la place public.
Le chroniqueur sur un blog, sans l’intervention d’une autorité, commente l’époque, un fait, un objet de curiosité. Il crée son public (ou sinon il reste éternellement solitaire) et il n’a pas l’obligation d’écrire sur une base régulière ni sur des sujets .
Ils sont dans la même famille que les chroniqueurs des mass-medias. Mais souvent ils ne sont pas payé pour le faire, ni ne sont obligé d’écrire sur une base régulière ni sur des sujets particuliers. Cette liberté offre un terrain d’étude très fertile – une nouvelle culture de diffusion des idées se construit.
Les chroniqueurs de la vieille économie
La création d’un public sur la simple base de la qualité de ses articles relève du tour de force. Les chroniqueurs des mass-médias bénéficient de l’apport de l’institution – ce qui ne leur enlève rien, mais leur portée s’en trouve décuplée.
Le prochain défi pour les mass-médias, c’est de renouveller le genre et leur parc de vieux chroniqueurs sclérosés : véritables bagnards à perpétuité, comdamnés à commenter l’actualité, à casser du sucre sur le bord de la route, les mains écorchées sur leur clavier-masse, les pieds enchaînés à leur hypothèque de chalet et prisonniers de leur train de vie alimenté par le salaire que leurs verse l’institution.
Les chroniqueurs sur Internet ont réussi transformer le canal en média. Ils arrivent avec leur fraîcheur et le système fait percoler le meilleur vers le haut. Skyblog n’est pas un site pour boutonneux, c’est le prochain modèle d’institution-média.
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16 mai 2005:
Je viens de tomber sur un excellent billet d’Alain Giffard sur le blog, comme objet technique distinct, où il parle des effets de l’ordre chronologique inversé et de la mise à jour qui oriente le carnet vers l’idée journal (mais je ne suis pas sûr s’il l’entend comme un média avec public). Un outil influence toujours l’écriture, le blog n’y échappe pas.
Il écrira aussi dans la même veine sur le Skyblog que je mentionne (je suis curieux de savoir ce qu’il dira). Les services web aux utilisateurs contenant des ensembles de fonctionnalités simples: mise en page, traitement de texte, base de données, statistiques, hébergement, fil web et aggrégation font partie de ce renouveau sur Internet.
Alain décrit aussi l’ordre inversée comme induisant une importance sur le dernier billet publié. Or, et moi-même je le fais, il m’arrive de mettre à jour un billet quelques jours après. Mais rien n’indique ce changement dans la mise ne page du blog : seuls peut-être certains aggrégateurs, en autant que le fil rss le collecte encore, repère ce type de modification.
Mais j’imagine qu’ici on rentre sur le terrtoire du wiki…
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Bonjour,
Je pense qu’une analyse par la cause est plus pertinente, bien que votre écrit ne manque pas d’intérêts. En d’autres termes, je pense que la force du blog est dans sa faiblesse, c.a.d. que la note du jour chasse celle d’avant quel que soit ça qualité ainsi nous réapprenons à profiter de chaque jour. De plus en opposition au site qui impose, le blog propose et permet à chacun de s’exprimer. N’oublions pas qu’une idée arrêtée est une idée morte qui ne sait évoluer. Encore en d’autres mots une idée qui est arrêtée, impose et se trouve sur un site, une idée qui évolue, qui vit se trouve sur un blog.
Cordialement Apj
Intéressant, cette idée de voir la force dans sa faiblesse. Mais je dois quand même souligner que les blogs n’ont pas inventer la chronique. Elle existe de tout temps, et encore plus depuis l’invention de l’écriture et celle de l’imprimerie.
« Une idée arrêtée est une idée morte ». Est-ce que cela comprend les livres? Car au fond, ma comparaison Blog vs Page, c’est comme Livres versus Revues (ou journaux). Je ne dirais pas que le livre est une idée arrêtée. C’est parfois un (long) post sur du papier 😉 Et des fois, des posts de blogs sont des idées arrêtées qui n’ont pas besoin du support papier pour vivre…
Ceci dit, la nouveauté, le renouvelement a quelque chose de séduisant. Les blogs sont le moyen d’accèder à la pensée d’autrui sans filtre (extérieur) et sans (trop) de délai. Pensons aux correspondances épistolaires d’antan. Les idées évoluent plus vite aujourd’hui grâce à ce nouvel échange.
Mais mon billet souligne tout de même que le blog induit un biais par le fait que l’on doit penser à un public. Une page web ou un livre aussi, il est vrai. Mais la dimension « rendez-vous » y est présent. Les quotidiens et les hebdos (la TV, la radio, les portails aussi) ont cette préoccupation et dans ce sens nous avons affaire un média et des régles particulières s’installent. Ce qu’un livre ou une page web n’a pas comme problématique principale : construire et gérer un public.
Mais les pages personnelles aussi ont eu un public et celui-ci n’a pas été sans conséquences…
Merci du lien, Hubert. Très intéressant. Par contre je ne suis pas sûr que c’est d’un « public » qu’il s’agit mais bien de « destinataires ».
Je m’explique: accordons que les blogs sont en fait une sous-espèce de la page web. Il est donc vrai que (certaines) page web auraient un public. Mais si je dis que les blogs sont des pages web avec un public, alors implicitement, les « autres » pages webs n’auraient donc pas de public.
Valérie Beaudouin, dans ton (excellente) entrevue semble assimiler le sens de public à celui de récepteur, le « lecteur » de message. Bien sûr que tout message s’adresse à un récepteur (l’auteur doit bien s’imaginer un public cible s’il veut le rejoindre). Ou disons-le autrement, c’est moi qui restreint le sens de public à celui de récepteurs récidivistes dans le cadre d’une diffusion à répétition.
Du moins je revendique qu’il y ait une différence entre la notion de lecteur-modèle au sens qu’Umberto Eco y apportait il y a quelques décennies et celui de public tel que défini dans la science des communications sur les mass-medias.
C’est que les pages webs qui demandaient un rapport de fréquence avec ses lecteurs se sont mutées en blogs. Ou, pour être plus clair, les pages webs qui demandent une fréquence plus élevée de feedbacks ou de mise à jour ont adoptées des caractéristiques qui sont celles des revues ou des émissions de télé.
Il me semble que le mot (désormais ambiguë) de public n’a pas la même valeur. Une différence de logique est à l’oeuvre dans les blogs et dans les pages personnelles. Valérie semble avoir bien soulevé ce point : la spirale descendante et le cercle vertueux. Il y a là aussi une démarcation entre deux types de public, car le premier tombe dans ce que l’on appelle aujourd’hui la « long tail » et le deuxième dans ce que j’appelle le web avec public.