Marie D. Martel (Bibliomancienne) rapportait samedi comment on meurt de la mort vraie dans les mondes virtuels. Elle décrit la façon dont le jeu, World of Warcraft, est utilisé comme « dispositif pour la mise en place d’un rituel funéraire: une ritualisation opérée par des avatars autour d’une souffrance partagée par une communauté ».
Ces mondes virtuels sont des manières de se créer un double / un avatar pour entrer en relation avec d’autres personnes (d’autres avatars). La technologie aidant, l’aspect le plus remarquable (et remarqué) reste la création en 3D d’espaces pour permettre aux avatars de se mouvoir. Et qui trouble beaucoup de gens quand vient le temps de se poser des questions naïves (comme «est-ce bon ou mauvais?»).
Le réalisme de cet espace, similaire dans son aspect visuel avec le nôtre («dans la vraie vie») ne se retrouve pas toujours dans «d’autres espaces» où nous avons nos «doubles»: échange épistolaire, blogue, émission de télévision où nous portons aussi des «masques»
Je tiens à préciser ici que je suis de ceux qui croient que les relations humaines passent par des «mises en scène» qui ne sont pas l’apanage exclusif des mondes virtuels 3D : Twitter, Facebook, nos échanges courriel et même nos cocktails sont des formes de construction d’une identité publique (même si moins visuelle) où on met de l’avant des caractéristiques personnelles et où on en cache d’autres.
«Contrôler son image» veut dire que l’on contrôle ce qu’on laisse diffuser ou non dans un espace, qu’il soit virtuel ou non, c’est à mon avis une autre façon de «se masquer» et d’entrer en relation avec les autres. Le numérique n’a pas le monopole du « bal masqué»: nos habits, notre maquillage, les endroits que nous fréquentons «dans la vraie vie» sont autant de facettes de notre personnalité que l’on met en scène.
Second Life, World of Warcraft, etc participent du même processus social: ils sont seulement très fortement axés sur l’avatar.
Il n’y a pas en soi de problème à utiliser ces mondes. On peut soit s’y amuser ou entrer en relation significative avec les autres. Si problème il y a, c’est quand on s’en sert pour éviter d’entrer réellement en relation avec les autres. En dénigrant sa propre personnalité (sous le prétexte qu’il ne serait pas «montrable») et en valorisant trop son double chimérique (l’avatar numérique que l’on se construit ou le personnage qu’on invente dans les cocktails), on risque d’affaiblir davantage ses chances de se sentir bien dans sa peau.
Mais je parle ici probablement de cas extrêmes, pathologiques, et je ne crois pas qu’il faille stigmatiser les usagers de ces mondes à cause de l’usage excessif de certains. Il est vrai que l’abus, particulièrement chez les jeunes, empêche de se développer socialement «dans la vraie vie» à un moment critique de leur vie. Mais la plupart des usagers ont un usage sain et ludique de ces mondes. Des formes d’amitiés ou, du moins, des modes exploratoires de relations humaines procurent sûrement des avantages, sinon comment expliquer qu’ils y soient?
Le «rite funéraire» que décrit Marie dans son billet participe du même mouvement. On se réunit là où la relation a eu un sens. Parfois il transcende les mondes et des liens se bâtissent «dans la vraie vie». D’autre fois, le lien est plus «réel» dans le virtuel.
De tout temps, les humains aiment les histoires: on s’immerge dans les films ou on plonge dans des livres. Second Life et consorts offrent encore plus: vivre une histoire dont on est vraiment le héros… Même pour sa propre mort…
Image: Shibuya
Article pertinent et formidablement concis.
Je fais tourner sur un forum Second Life qui, quand il ne parle pas dans le vide, s’est parfois penché sur l’ambivalence jeu/plateforme sociale avec débat.
Les masques sont effectivement partout et pas forcément on croit les rencontrer.
Nuage G(iha) sur le forum et sur Secondlife (enfin plus vraiment)
L’ambivalence est effectivement palpable. On a pas le même sentiment qu’avec, disons, le téléphone ou l’échange épistolaire. Qui sont pourtant des outils qui «médiatisent» notre présence à autrui. Probablement par ce que ce ne sont pas des jeux, des jeux de rôles notamment…
J’ajouterais un bémol : oui, nous sommes toujours en train de nous projeter/identifier/construire (et ce, tout naturellement : nous sommes des êtres sociaux), mais la nuance est dans le rapport d’altérité (présence de l’autre/nous)avec lequel nous le faisons : le « je » a explicitement beaucoup plus de latitude (importance) dans un processus identitaire qui est également explicite.
En un sens, on n' »est pas », on « devient » (production volontaire). C’est ainsi que l’identité devient moins symbolique, que technique (le « faire » de la production), comme l’atteste les points/qualités cumulés par le joueur/identité et qui rendent manifeste le procès de construction. L’identité devient une production empirique, cumulative et gérable. C’est le même phénomène avec les blogues/médias socionumériques : on produit/contrôle son image qui est conceptualisée comme son identité : personal branding, etc.
Voilà pourquoi je diffère d’opinion quand à dire que tous les processus d’identitaire sont similaires (je comprends que tu veux contrecarrer les opinions prétendant que les nouveaux modes (avatars, WoW, etc.) sont plus dangereux que les anciens). Tous, intuitivement, sentons que les mondes virtuels introduisent une nouveauté dans la dynamique identitaire et c’est bien ce qui nous plaît. Mais comme toute dynamique humaine, celle-ci est ouverte sur bien des possibles, dont certains sont moins désirables que d’autres.
André, bien heureux que tu aies si bien détecté que dans mon modeste billet je voulais prévenir des opinions à l’emporte-pièce (et manichéen); je vois que maintenant on peut déplier davantage le sujet et souligner des nuances que je n’ai pas apportées.
Je ne peux être que d’accord avec ce que tu apportes à propos de cette construction (ce management?) de l’identité mesurable («identité technique»); je n’avais jamais vu les «points/qualités» comme des manifestations d’une identité. Ça devient flagrant tout à coup. Mais n’y a-t-il pas similarité avec, disons, un CV ou des diplômes ou des titres qui sont au fond des «points/qualités», subjectifs peut-être, mais réels, pour structurer notre identité auprès de l’autre? J’y vois qu’une différence de surface et non de fond («la vie ne serait qu’un jeu»)…
C’est possiblement «l’addiction» que procurent les mondes virtuels qui pourrait être «moins désirable» (et ce n’est pas une mince affaire) en effet. Je comprends que ton point situe la problématique, et corrige moi si je me trompe, sur le rapport à une altérité qui n’est plus que virtuelle et sur l’inflation du «je» qui se construit sans l’autre. Ce qui n’est pas sans rappeler les symptômes de l’autisme. Mais étant donné que ce sont des humains qui utilisent les mondes virtuels, n’y a-t-il pas déjà d’inscrits les conditions du bon ou du mauvais?