Paru dans le lettre d’info de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) (Via Isabelle Quentin, mon éditrice qui commence à aimer les blogues 😉
Blogues et médias : du pareil au même
L’équivalent australien du Bureau de la concurrence croit, en se basant sur une recherche de Technorati, que le public internaute tend à ne plus voir de différence en matière de crédibilité entre les blogues et les médias traditionnels.
Pour le président de l’organisme, Graeme Samuel, les médias traditionnels ne peuvent plus penser que le public va toujours finir par se tourner vers eux pour s’informer.
C’est ce point de vue qui amène notre CRTC à croire qu’il n’y a plus de raison de contrôler la propriété des médias puisque l’info, tout comme Dieu, est partout et notamment dans les blogues.
Source à l’origine de cette note : Blogs as reliable as mainstream media (ACCC)
Crédibilité versus confiance
J’écrivais justement dans le chapitre de mon livre sur l’influence:
« On s’entend généralement pour dire que la crédibilité est une perception. C’est un attribut donné par l’observateur à une information, à une personne, à une institution. Elle n’est pas une propriété innée d’une personne, mais une caractéristique attribuée par les autres. Cette faculté de donner de la crédibilité s’appelle la confiance. » (« Bloguer pour influencer », in Pourquoi bloguer en milieu d’affaires, à paraître)
Dit plus crûment, la confiance est la méthode utilisée pour s’éviter de faire la preuve chaque fois, de vérifier chaque point. Parce qu’on lui donne notre confiance, à tort ou à raison, la blogosphère a une influence. On peut contester l’ampleur, mais pas le fond.
Blogues et médias : pas pareils, pas les mêmes
Cette acquisition de crédibilité notée dans l’article peut laisser pantois, mais il semble être devenu un fait. On fait confiance aux blogueurs, certes, mais il s’agit maintenant d’éduquer les citoyens à exercer une pensée critique, car les institutions traditionnelles avaient une éthique et un mécanisme qui justifiait leur crédibilité. Dans la jungle de l’information, il est facile de croire ceux qui nous bernent.
Que voulez vous?
Et en passant, à lire aussi sur le site de FPJQ : Les citoyens (américains) ne choisissent pas les mêmes informations que les journalistes
On y apprend que « les médias traditionnels concentraient leur attention sur une dizaine de grandes histoires qui occupaient à elles seules 51% des nouvelles« .
Sur les sites de contenus générés par les utilisateurs (Reddit, Digg et Del.icio.us) « ces sujets étaient presque absents des trois sites citoyens étudiés, ils ne représentaient que 5% des thèmes abordés« .
À noter aussi : « Le contenu international est par ailleurs nettement plus présent dans les médias traditionnels que dans les trois sites examinés. » Tiens, tiens, tiens, le local est une préoccupation citoyenne…
Oui, les blogs peuvent parfois faire concurrence aux médias plus traditionnels.
Or, la question de la légitimité et de la crédibilité n’est pas démontrée. Les journalistes sont censés avoir une obligation de résultat en matière de preuve, même si ce n’est pas toujours le cas.
Il faut faire très attention à ne point donner trop de crédibilité aux dires des blogs puisqu’on se situe dans la sphère de l’opinion et non de l’information.
Aussi, je pense que blogs et médias sont complémentaires, mais il s’agit de ne pas les confondre…
Youri, je suis entièrement d’accord avec vous. Cette nouvelle aurait pu me faire plaisir, mais confondre opinion et information n’est pas sain dans une démocratie,et me fait plus peur.
Cela dit, il faut comprendre que légitimité et crédibilité ne se « démontrent » pas, elles sont « attribuée ».
Ce que j’en comprends dans ma recherche sur le sujet, c’est qu’ »est légitime » celui qui reçoit ce pouvoir des autres. « Est crédible » celui confirme les a priori des autres (ou dit en d’autres termes, la crédibilité se rapproche d’un acte de foi).
Ça choque notre entendement, et il y a d’autres définitions que l’on peut donner pour éviter ce désagrément, mais on peut difficilement passer à côté du fait que ces termes ne recoupent pas une réalité transcendantale.
Le « mécanisme » de la légitimité et de la crédibilité fonctionne relativement simplement et, culture aidant, il n’a pas le sens que l’on retrouve en science (et encore, il faudrait nuancer).
A Martin Et youri :
l’observation n’est-elle pas avant toute chose un acte d’interprétation :
“l’observation c’est à la fois décrire et interpréter. le découpage de l’objet d’observation est dejà, en soi une vision (une interprétation) des choses supposées sur la réalité complexe” ( R. Canter Kohn – les enjeux de l’observation)
A partir de là, quelle différence faite vous entre information et opinion puisqu’elle sont l’une et l’autre toujours située topographiquement !
Tout ça pour dire que le distingo net sur cette base me gêne quelque peu !
elleS sont …situéeS… pardon !
légitimité et crédibilité
oui mais ce qu’il faut chercher avant tout c’est la vérité qu’elle soit crédible/légitime ou pas de la masse de nos contemporains.
Dans une optique sérieuse (propagande, désinformation), je n’aime pas le principe de maquiller une information pour qu’elle devienne crédible si elle est fausse au fond.
Florence, bon point. Quand je dis que la légitimité et la crédibilité sont « attribués », c’est dans le sens que ces attributs n’appartiennent pas aux objets observés, mais bien dans la tête du sujet.
Je sais que je nage en eaux troubles, mais une définition désincarnée (que toute observation serait subjective) n’est pas toujours utile pour comprendre ce qui motive les mouvements de pensées dans la société. Mais sur le fond, Kohn a raison.
Je m’avance en disant que toutes les subjectivités n’ont peut-être pas le même degré: un reporter qui a vu un événement («qui a découpé l’objet d’observation») effectue une interprétation distincte d’un chroniqueur qui «interprète l’objet interprété».
On pourrait alors, je crois, apporter une distinction entre « opinion » et « information », si, et seulement si, « information » se rapporte à un fait que l’on tente de décrire objectivement (et je sais que c’est un échafaudage conceptuellement en porte-à-faux) et mettre « opinion » dans la case des « interprétations » sans bases nécessaires avec les faits.
Par exemple, ‘les Américains ont marché sur la Lune’ serait une « information » et dire que ‘c’est un énorme mensonge monté de toutes pièces ‘ serait une « opinion ».
Cela dit, poussons plus loin, car le degré qui les sépare reste bien mince, et Kohn le résume bien.
« L’information » serait une opinion coconstruite faisant partie d’un consensus culturel qui ferait partie d’une ‘encyclopédie’ partagée par une majorité.
« Une opinion » serait une information personnelle ( ou faisant partie d’un consensus minoritaire) et qui ne serait pas partagée par la majorité.
Pourrait-on dire que l’opinion affirmant que le 11-septembre serait un complot monté par un complexe industriel militaire américain deviendrait une « information vraie » le jour où tous ce mettent à croire en elle? Peut-être. Si l’histoire est réécrite dans les décennies à venir, peut-être que ce sera une « information » transmise à nos descendants. Et celui qui croira à un véritable attentat terroriste sera taxé d’émettre une opinion.
Mais serai-je entré dans un exercice de quadripilectomie?
Paul, l’exercice de définir la vérité offre de bien vaines discussions. Elle fuit comme l’horizon s’éloigne à chaque pas.
Il n’y a qu’en mathématique et en logique, à ma connaissance, que l’on peut se targuer d’utiliser ce mot dans toute sa force.
La Justice reste un consensus. La communication une coconstruction.
À ce que j’en ai conclu, dès l’instant que l’on définie les attributs de la vérité, il est possible d’immédiatement maquiller tout mensonge. Si la vérité porte une moustache, je n’ai qu’à me mettre un postiche.
C’est bien ce que je craignais et suspectait Martin en lisant tes billets.
Les sciences dit exactes ne se limitent pas au mathématiques. Pour les sciences sociales il faut c’est vrai être plus prudent.
Attention, je parle des vérités qui sont des interpretations correctes de La réalité.
Bon j’ai poussé mes lectures un peu plus loin, et je suis tombé sur Philippe Breton, dans « L’argumentation dans la communication » Collection Repère chez La découverte (1996, 2006) qui écrit (p.28) à propos de la différence opinion / information:
« (…) l’information est toujours subjective puisque produite par des humains. Elle n’est toujours qu’une représentation du réel. La différence tient au contrat de communication, qui dans le cas de l’information, suppose que l’on tendra le plus possible vers un regard objectif, même si on n’y parvient pas tout à fait ».
J’aime bien, car il donne cette distance que je recherche pour voir une subtilité opératoire. La notion de « contrat » entre l’émetteur et le récepteur offre le moyen de distinguer ce que Kohn met dans le même sac.
Pas qu’il avait tort. Mais il me semble que l’on peut commencer à argumenter maintenant avec cette notion de « contrat de communication »…
OK
Si je comprends bien :
La nature du contrat d’objectivité qui lie le lecteur au journaliste trouve son interprètation dans les choix éditoriaux…ce contrat est relativement clair et connu…
Cela dit, il y a aussi des « sortes de contrats de confiance » qui lient les auteurs de blogs et leurs lecteurs ! Pas toujours certes ! Admettons !
Dans les deux cas, nous avons bien des contrats mais de nature différente : le premier de par sa nature peut donner lieu à régularisation (par rapport au contrat et à ses objectifs), alors que le deuxième fera d’avantage l’objet de régulations, du moins me semble-t-il ?
Encore que de plus en plus de blogueurs identifient très clairement leurs objets d’étude, citent leurs sources, expliquent leur cheminement de recherches et leurs positions sur telle ou telle question !
Bref difficile d’identifier précisément des choses qui se chevauchent et s’entrecroisent !