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Le devoir de se taire

Poussons un peu plus loin le débat sur le silence, l’authenticité et la critique en ligne à l’ère du 2.0 (voir mon billet d’hier L’authenticité doit-elle être violente?).
Alex 661 Il ne serait pas nuisible de lire le dernier papier de Christian Rioux. Dans sa chronique de ce matin [abonnement; cache], il prend à partie une jeune étudiante de cinquième secondaire (Alex661). Elle s’est exprimée dans les commentaires du blogue du Devoir sur la réforme en éducation au Québec, dans un langage confus et truffé de fautes. [voir son texte]

Précisons que ni le nombre de fautes ni l’articulation des argumentations (du «niveau de la fin du primaire») ne l’incommodent au point d’en faire un article. Il est par contre outré par «l’absence totale d’inhibition chez son auteur.»

L’art d’écrire et non le besoin de s’exprimer

«Personne n’a jamais expliqué à Alex qu’avant d’écrire, il fallait d’abord apprendre à se taire — c’est d’ailleurs le plus difficile. Qu’il fallait lire beaucoup avant de songer à énoncer une petite idée. Qu’il valait mieux faire de nombreuses rédactions sur l’automne et peut-être même apprendre quelques poèmes par coeur avant de penser à avoir une opinion. Et que le vrai travail ne commençait qu’au moment de se relire.»

Il prône le devoir de silence, en quelque sorte. Une auto-censure qui va au-delà de mon billet à propos du débat où Steve Proulx (Twitter ou téteux?) parlait de: «l’exhibitionnisme stratégique sur les réseaux sociaux [qui] a créé [… ] la foire du jovialisme 2.0. Le web 2.0 est le « au royaume de la tape dans le dos», dit-il.

Rioux, lui, dit, au fond, et c’est plus radical: sans la méthode d’écrire correctement, ne dites rien.

À qui appartient la langue écrite?

«L’irruption des blogues et des opinions de toutes sortes dans Internet nous rappelle que l’opinion n’est pas notre privilège» a dit Edwy Planel , ancien directeur de la rédaction du Monde et maintenant fondateur de Médiapart, l’un des intervenants au colloque international sur l’avenir du journal indépendant.

Dans un monde d’autopublication, tout le monde a son mot à dire (cf la fameuse épidémie blogueuse du même Christian Rioux).

Rioux accuse la réforme scolaire d’avoir encouragé les jeunes à donner leur opinion sur tout et n’importe quoi. «Incitée à s’exprimer le plus librement possible, notre étudiante a donc choisi en toute logique de se « libérer » aussi des contraintes de la langue.»

Ce qu’il lui reproche le plus, «c’est l’absence de compréhension de ce qu’est la langue écrite».

Il n’a pas tort.

Opinion sous-entendue

Attention, la prémisse sous-entendue est : il existe des règles de combat dans la joute de l’écrit qu’il faut respecter.

Autre sous-entendu possible: la désacralisation de l’écriture est devenue un mal répandu. Comme l’art chevaleresque tombé en désuétude ou la fin des combats en ligne lors des guerres d’indépendance en Amérique; une «façon de faire» passe à la trappe.

Pendant que l’élite pointe du doigt la désacralisation de l’écriture, l’écrit évolue aujourd’hui pour quitter la sphère des oeuvres littéraires et rejoindre le langage parlé : désacralisation qui rime avec démocratisation.

Là où Steve Proulx dit que «la critique [sur Internet] est tout à fait légitime» (en réaction à la «moumounerie de la gentillesse 2.0» (comme surnommé par Michelle Blanc), Rioux répond, oui, mais avec la forme!

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

11 thoughts on “Le devoir de se taire

  1. « Personne n’a jamais expliqué à Alex qu’avant d’écrire, il fallait d’abord apprendre à se taire — c’est d’ailleurs le plus difficile. »

    Je ne sais pas pourquoi, mais cette phrase me paraît un peu trop radicale. Comme si, dans l’apprentissage, il n’y avait que du 0 et du 1. Or l’apprentissage n’est pas binaire. On ne part pas du silence pour arriver à une pratique parfaite de la langue. Les enfants ne sont pas silencieux: ils parlent toujours, d’abord babillage, puis langage plus élaboré.

    De la même façon, les commentateurs de blogs ou de sites d’informations ne doivent pas être comparés à des professionnels. C’est tellement facile de prendre quelqu’un de haut parce qu’il fait des fautes d’orthographe ou ne comprend pas le contexte dans lequel est écrit un article (forcément génial) ou ne possède pas les codes qui régissent la communication sur tel ou tel média.

  2. Éric, je suis d’accord pour dire que c’est radical. Je crois que Rioux prend pour acquis qu’une personne qui prend parole en public a fait ses «devoirs» à l’école auparavant et qu’à l’âge de donner ses opinions en public, on s’attend à ce qu’elle ait maîtrisé la base formelle. Il en a plus contre l’école que contre Alex661.

    Mais votre point tient la route : toute parole publique n’a pas à être tenue que par des professionnels. Rioux a un point de vue élitiste, dans ce sens (l’élite établit et maîtrise les codes).

    C’est l’art d’écrire versus le besoin de s’exprimer…

  3. En fait, Christian Rioux reproche à cette étudiante de ne pas faire l’effort nécessaire pour se conformer à une norme : si tu n’es pas capable de bien écrite tout seul, eh bien fais-toi relire par quelqu’un d’autre!

    Je pense que ce qu’il n’accepte pas, c’est que la « norme » a beaucoup changé avec le web. Je ne dis pas que c’est une bonne ou mauvaise chose, je constate simplement que la norme a changé.

    Les jeunes d’aujourd’hui écrivent (et lisent!) beaucoup plus que ceux de la génération d’avant internet, sauf que c’est en grande partie communication textuelle se fait dans des courriels, des chats et autres communications similaires.

  4. J’ai l’impression pour ma part que le vrai problème, peut-être mal ressenti et donc exprimé par Mr Rioux, vient possiblement que le commentaire d’Alex (que je n’ai pas lu) ne se soucie probablement absolument pas du destinataire. Il n’existe d’abord que par et pour lui-même, comme un droit d’expression qui se suffit à lui-même, mais qui ne s’inquiète pas ou très peu de la « communication ». Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’orthographe, comme le fait de structurer ses pensées et de les présenter de façon lisible et compréhensible n’est pas un snobisme élitiste, mais une façon de tenir compte de l’autre, de le respecter en ouvrant des canaux de communication communs qui permettront un véritable échange. Même le langage « SMS » doit s’adapter parfois à cette règle d’établir un vocabulaire compréhensible commun quand les gens finissent par en avoir assez d’essayer de déchiffrer des abréviations illisibles et qu’ils veulent vraiment échanger.

  5. J’aime l’idée que tout le monde puisse prendre la parole sans le fardeau de la honte de « mal » écrire, de faire des « fautes » d’orthographe. La honte et la culpabilité sont transmises par le système scolaire pour humilier les enfants et les adultes qu’ils vont devenir. Il les préparent a faire silence et a accepter tout ce qui vient d’en haut, de ceux qui « savent » écrire et parler. En français, beaucoup de mots ont une orthographe compliquée simplement parce que les élites l’a voulu compliquée en s’inventant une étymologie grecque ou latine

    L’orthographe structure la pensée, certes, mais elle la structure d’une façon tout à fait particulière. Je ne fais pas l’éloge de l’écriture sans règles – il faut bien que l’on s’entende – mais trop souvent le rappel à la règle est un rappel à l’ordre : tiens ta place, tiens ton rang, tu fais partie d’une minorité (« jeune », « en difficulté », »peu instruit »), assieds toi et regarde faire les puissants.

    L’opinion n’est certes pas l’avantage des élites. Elle est la possession des petites personnes, des gens sans qualités. Elle se forme dans les cafés, dans les usines et depuis quelques années dans les nuages. Je pense que la haine que vouent certains intellectuels francophones à l’Internet tient du fait que confusément ils sentent que le pouvoir de la longue traine des opinions auxquelles on ne faisait généralement pas attention peuvent avoir du poids.

    Parfois, les zergs gagnent…

  6. Voic le texte d’Alex 661

    «une examen tres dur»

    «bonjour je suis élève de secondaire 5 et aujourd hui jai fait l’examen du ministère en francais je suis vraiment insultée de savoir que les gens pense que cet examen est facile car c’est totalement faux. Dans l’examen il nous fallais deux argument oubligatoire et non un.

    Il est faux de dire que les élèves la trouve facile pour preuve nous avons eu une pratique d’examen avec un autre sujet moi ma note finale 58 % et la plupart des élèves ont passés avec 60 % 65 % les élèves qui avait plus haut que ça était rare je fait parti de la réforme et je parle avec ceux qui non pas fait parti de la réforme et disent que ses beaucoup plus dure dans la réforme je n’aime pas les préjuger que les gens on contre la réforme»

    «merci une étudiante de secondaire 5»

  7. @ Étienne,
    c’est vrai, c’est ce changement de norme en cours qui semble être visé par Rioux. Je suis tout de même ambigu face à ce phénomène. Mais je ne me formalise pas comme lui de ce changement de code ni de la prise de position par des «ignorants de la norme». Je préfère les entendre.

    @Renaud
    Très bien visé! Voilà qui est bien résumé le problème: le droit d’expression offert à tous (autopublication sans barrière) offre une place à des «émetteurs» qui ne se soucient pas de la réception de leur texte.

    Frustrant pour un homme aguerri comme Rioux, qui toute sa vie, s’est conformé (à notre plus grand bonheur) à soigner ses effets. Le «changement de code» serait moins ce qui irrite Rioux que «l’irrespect» de communiquer «sans tenir compte de l’autre». Merci pour cette précision très éclairante!!

    @Yann
    « le rappel à la règle est un rappel à l’ordre». C’est, je crois, comment on reçoit le texte de Rioux. Là aussi je suis ambigu, car la règle est inévitable et donc les «anarchistes» méritent de se le faire rappeler.

    Mais le malaise que procure son texte est bien résumé dans ce que tu dis : « le pouvoir de la longue traîne des opinions auxquelles on ne faisait généralement pas attention peuvent avoir du poids.»

    Et ça, chez Rioux et chez d’autres (comme je l’ai souligné dans d’autres billets), semble être le moteur de leur réaction de rejet… Bien dit!

  8. On pourrait aussi voir la langue comme fil conducteur culturel, comme agent liant nous permettant de nous comprendre dans la même société, nous permettant de partager les mêmes codes. Si on se mets à communiquer en utilisant des codes différents, ne risquons-nous pas de nous diriger vers l’anarchie culturelle?

  9. Seb, tout à fait. D’où le fait que l’on ne peut pas jeter la première pierre à Rioux. Mais je renverserai la question: la culture, n’est-ce pas déjà une anarchie de codes?

    Je crois que, si avant, écrire était déjà un signe de reconnaissance entre gens de «même culture», le fait d’écrire aujourd’hui ne te met plus dans le même bateau: le choix des codes fait en sorte de s’exclure (ou s’inclure) selon les sphères

    Les sphères Skyblog et MySpace ne communiquent déjà plus avec les autres sphères. Le texto non plus. Plusieurs variantes existent déjà.

    Ce que le Devoir expérimente c’est l’intrusion de ces sphères sur leur terrain…

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