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Jeux sérieux : le capteur d’attention

Autour du début de ce siècle, l’industrie du jeu vidéo a dépassé le cinéma, poursuivant une progression constante et fulgurante depuis trente ans. L’industrie de l’e-learning commence de plus en plus à regarder sérieusement de ce côté. En particulier, justement, les jeux sérieux.

Samuelle Ducroq-Henry  (UQAT)À l’évènement e-learning organisé par l’Alliance numérique vendredi dernier, auquel j’ai assisté, il y avait l’universitaire Samuelle Ducroq-Henry (UQAT) qui est venu faire un tour d’horizon du jeu sérieux (serious gaming, à ne pas mélanger avec hardcore gaming).

Jeux + sérieux = oxymore?
« Un jeu sérieux s’appuie sur une base vidéoludique pour en faire un usage non destiné à s’amuser » dit-elle avant de passer en revue quelques grands classiques comme America’s Army, de l’Armée américaine, utilisé pour le recrutement des soldats, Food Force, commandé par l’ONU pour illustrer la gestion d’un camp humanitaire, ou Re-Mission, dans le secteur de la santé, pour aider les jeunes atteints du cancer à lutter contre la maladie.

J’avais d’ailleurs, il y a deux ans, analysé un jeu sérieux sur le Darfour qui ne manquait pas de soulever des questions éthiques. Je suis davantage attiré par les jeux sérieux à saveur sociale.

Sa conférence était très réussie et débroussaillait suffisamment pour que les novices puissent avoir un bon aperçu. On peut avoir un aperçu de ce qu’elle propose sur ludisme.com, son site à l’Université et sur jeuxserieux.com, portail officiel qu’elle héberge pour la recherche canadienne sur les jeux sérieux. Sites un peu décevants dans leur contenu pour ceux qui veulent aller plus loin, mais qui donnent une certaine introduction dans la langue de Molière.

Sérieux problèmes
À mon avis, deux des principales difficultés pour ce champ de recherche consistent dans une définition claire de ce qu’est un jeu sérieux (il varie d’un auteur à l’autre en fonction de leurs besoins) et dans l’application dans divers milieux, comme l’e-learning en entreprise.

Pour la définition, un travail sur la taxonomie est en cours (Serious Games Taxonomy de Ben Sawyer, pdf); pour l’application le chemin sera plus long.

Il n’est pas difficile d’imaginer un patron hoqueter en entendant ses directeurs RH parler d’investir dans un jeu, aussi sérieux soit-il, pour améliorer le rendement. La juxtaposition de « sérieux » à jeux ne lui enlève pas son aura de ludique comme antonyme de productif.

Focus mental
D’après moi ceux qui sont intéressés à faire entrer le jeu en entreprise pour la formation ont peut-être raison. Le jeu fonctionne, non pas parce qu’il est « sérieux », mais parce qu’il possède un pouvoir très recherché: il capte 100% de l’attention.

Quand on capte l’attention, il est possible de passer des messages. Le rêve de tout formateur, et du patron en bout de piste, est de voir son contenu assimilé par ses participants.

L’engouement pour les jeux sérieux provient, à mon sens, de cette caractéristique essentielle. On en nomme parfois d’autres, mais il reste que fondamentalement capter 100% de l’attention reste le cheval de Troie recherché.

Ensuite commence le vrai travail: que fait-on de cette attention, comment construire le programme, quelle pédagogie faut-il réellement utiliser? Sérieux. Ce n’est plus un jeu.

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

11 thoughts on “Jeux sérieux : le capteur d’attention

  1. Très certainement : « jeux sérieux » est un oxymore. Du moins en français, car la langue anglaise fait la différence entre le game et le play

    Cette distinction est utile, parce qu’elle est au coeur de la question des « serious games ». On se souvient que c’est l’armée prussienne qui a été la première a mettre en place un système de jeu – les kriegspiels – pour former ses officers supérieurs. Sur table, ceux ci pouvaient disposer et redisposer leurs troupes en fonction de la situation à laquelle ils avaient a faire face. Ces jeux de guerre permettaient aux officier d’intégrer les modèles militaires d’alors. A charge ensuite aux officiers et a la troupe d’executer correctement les ordres.

    Aujourd’hui, les officiers supérieurs ne sont plus formés avec une table et des figurines, mais avec des écrans d’ordinateurs et des icones. Les officiers utilisent Counter Strike

    Dans tous les cas, cela reste une simulation, et entre la simulation et la situation tactique sur le terrain, il peu y avoir un monde (cf. Aliens, par exemple)

    Cependant, il est assez évident que les sérioux games sont très efficaces pour enseigner a quelqu’un des modèles. Cela doit nous amener à être attentif a ce que les jeux vidéos enseignent en général aux enfant – c’est a dire quelles idéologies véhiculent ils

    Pour les enfants, et plus particulièrement pour les enfants qui sont en difficultés dans les apprentissages, ils me semblent tout a fait inadapté. Ce qui est en cause chez ces enfants, c’est précisément la capacité à jouer qui est nécessaire pour entrer dans une simulation. C’est cette capacité qu’il faut restaurer, dans le cadre de psychothérapies ou de rééducations scolaires.

    Jouer pour le seul plaisir de jouer, jouer gratuitement, est quelque chose de précieux, et qui nous est pourtant nécessaire.

    Et je trouve inquiétant que l’on demande de plus en plus aux enfants de rentabiliser jusqu’a leur temps de jeu dans le sens d’un plus d’apprentissage.

    Après, on s’étonne de les voir affiner les tactiques de farm sur WoW…

  2. Merci pour le rappel historique des « blitzkrieg ». Et merci aussi pour amener l’idée que la sournoise rentabilité s’installe partout.

    Dans une autre discussion, il y a quelqu’un qui soulignait que l’intérêt des « serious Games est d’exploiter la dimension ludique pour inoculer un apprentissage technique (linguistique, financier, agricole, médicale,etc). »

    Dans tous les cas, je crois qu’il y a toujours « quelque chose d’inoculé » dans tout jeu, qu’il soit joué pour le plaisir seul ou non…

  3. Excellent point.

    L’intérêt est le premier élément nécessaire de l’apprentissage et l’attention est de l’intérêt concentré.

    Un jeu comme «Tip on Tap» devrait vous séduire :
    http://thot.cursus.edu/rubrique.asp?no=26125

    Et près d’une centaine de jeux d’apprentissage :

    http://thot.cursus.edu/archive.asp?s=1&page=0&query=jeu&Rechercher.x=39&Rechercher.y=8&depuis=0&type=PHRASE&rubrique=14&nom=&nb=20
    ou

    http://tinyurl.com/4zarfa

    Denys Lamontagne

  4. Tout à fait d’accord avec l’idée qu’il y a toujours quelque chose d’inoculé. Même (surtout ?)le Blanche Neige de Walt Disney est livré avec sa dose d’idéologie.

    D’ou l’importance d’enseigner aux enfants à décoder les jeux vidéos de la même manière que l’on a tenté de leur enseigner à décripter les images.

    Avec plus de succès, j’espère

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