Longtemps, j’ai blogué de bonne heure. Parfois, à peine mon billet publié, ma fenêtre se fermait si vite que je n’avais pas le temps de me relire : « Je m’endors. »
Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de me corriger m’éveillait ; je voulais reposter le billet que je croyais avoir encore dans les archives et passer mon correcteur ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais d’écrire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que je n’avais pas moi-même écrit ce dont étalait mon carnet: fautes d’orthographes, accord du participe passé, coquilles et temps de verbe.
Ces fautes survivaient pendant quelques secondes à ma relecture; elles ne choquaient pas ma raison mais pesaient comme des écueils sur mes lecteurs et les empêchaient de se rendre compte que le blog n’est pas une rédaction de journal. Puis elles commençaient à me devenir inintelligibles, comme après la lecture des pensées d’une ado sur skyblog; le sujet du billet se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non; aussitôt que je rouvrais le billet et j’étais bien étonné de trouver dans le corps du texte une erreur, grammatique et syntaxique pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une faute sans cause, incompréhensible, comme une erreur vraiment élémentaire.
Je me demandais quelle heure il pouvait être; j’entendais le ronflement des enfants qui, plus ou moins éloigné, comme le tictac d’un trotteuse dans une horloge, relevant les distances, me décrivait l’étendue du web où le curseur se hâte vers le lien prochain; et la conversation que je suis va être gravé dans mon souvenir par l’excitation qu’il doit à des hyperliens nouveaux, à des blogs inaccoutumés, à la causerie récente et aux commentaires sous des langues étrangères qui me suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du réveil.
J’appuyais tendrement mes doigts contre les belles touches de mon clavier qui, lisses et froides, sont comme les touches d’une Underwood. Je clique un bouton pour regarder l’heure. Bientôt 3 heures AM.
(Alors qu’exténué, souvent j’écris mes obsédants billets sur des sujets passionnants quand tout le monde est couché, sur mon temps de sommeil, irrécupérable, pour évacuer de ma tête trop sollicitée les envies irrépressibles de formuler efficacement une pensée naissante.
En haut, je paraphrase Proust avec un malin plaisir, vous l’avez tout de suite vu, sachant pertinemment que s’il avait été blogueur, on lui aurait reproché ses longueurs qui ont fait justement son bonheur en édition papier. Mais aussi pour signaler que les blogueurs n’ont pas accès à la même machine que dans le monde de l’édition – lecture, relecture, correction, conseils, etc.- et sommes donc obligé de tout faire nous même – de l’encouragement à la correction.
Je vous saurez gré d’excuser les fautes qui, dans mon carnet ouvert à votre curiosité, se glissent par maladresse – et par méconnaissance de la langue – en ces heures tardives, comme c’est le cas pour la majorité de mes billets et j’implore votre indulgence pour celles passées et à venir. Car je mets parfois trop de soin sur le fond, et la fatigue aidant, j’escamote la forme. Je corrige le matin venu quand j’ai plus que… zéro seconde. )
(photo et texte de Proust sur Wikipedia)
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Excellent! La distance est telle entre le style proustien et le thème du billet de blog que ça pointe finalement exactement l’enjeu central : la représentation du temps !