Blogosphere

Enquete sur une conversation

Comme vous le savez, si vous arrivez au milieu d’une conversation, il faut prendre un certain temps pour « comprendre » ce qui se discute, pour saisir réellement les enjeux.

Dans la blogosphère, ce que j’appelle la mise en contexte exige un minutieux travail « d’archéologie cognitive » afin de retracer et suivre une conversation. J’ai beau ajouter un maximum de détails pour permettre une compréhension rapide de mon billet, la plupart des néophytes en carnet que j’invite à parcourir le mien ont le même impression: ils sont perdus.

On décrit souvent le carnet comme un outil facilitant la conversation, mais elle ne facile pas son suivi. Regardons de plus près l’effort exigé.

Commençons notre enquête.

Il y a une conversation intéressante qui se déroule sur le carnet de Ytsejamer. Stéphane y décrit les différences entre les carnets, les wikis et les forums pour ce qui est de la place de l’individu.

Voici le « post » qui m’a suscité mon intérêt: suivons le.

Stéphane::2004-11-21:: Blogue, wiki, forum: quelle place pour l’individu? (partie II)

Pour se mettre en contexte, on considère les hyperliens comme des indices de contexte, nous trouvons une façon claire pour retracer les sources de la conversation initiée.

1) Un hyperlien dans une billet peut être considéré comme une filiation directe à une source de la conversation. Ce que j’appellerai ici « source« . Il donne le contexte explicite au billet.

2) Parfois un hyperlien n’est qu’une « citation » servant comme référence, dans son ensemble, à une oeuvre ou un auteur. Ce que j’appellerai alors « référence » (ref). Il existe des « références explicites » (quand l’auteur cite expressément un document ou une personne) et des « références implicites » (quand le logiciel de carnet affiche l’hyperlien de celui qui a écrit).

Veuillez noter que la référence implicite n’est pas futile : pour comprendre l’importance ou connaître la perspective d’un auteur, la connaissance des écrits antérieurs, même s’ils ne sont pas reliés à la conversation en cours, permet de donner du relief à la discussion.

3) Quand une référence explicite est faite pour citer une personne, sans pour autant que celà ajoute davantage d’information à la discussion, c’est ce que j’appellerai un « ping humain » (ping)

4) Un commentaire (comm.) suite à un billet peut être considéré comme un suivi explicite de la conversation. S’il offre des liens, ils sont considéré comme des « références », des apartés, souvent pour étoffer la conversation a posteriori (voir point 2) (à moins qu’ils pointent vers d’autres conversations, c’est un trackback manuel (voir point 5)

5) Le trackback n’est en fait qu’un indice qu’un autre billet poursuit la conversation ailleurs. Dans ce cas, à rebours, le présent billet est la source de nouveau billet (voir point 1).

Mais pour « se mettre en contexte » il faut suivre minimalement les hyperliens proposés et lire les commentaires (et éventuellement les hyperliens laissés dans ces commentaires).

Recréer le « contexte »:

C’est donc par le billet de Stéphane que je suis « entré » dans la conversation. Mais ce billet n’est pas une réflexion ab nihilo. Cette réflexion a suivi, on l’imagine, des lectures antérieures. Le carnet permet de rendre explicite les interconnexions de la réflexion.

Stéphane indique ses sources de référence pour nous situer dans la conversation:

(source) Pierre::2004-11-21:Réflexion du dimanche matin
(source) Stéphane::2004-11-21:Blogue, wiki, forum: quelle place pour l’individu?

Et pour pouvoir suivre la conversation nous devons lire les commentaires (3 à ce jour).

Un commentateur donne un lien vers une source externe

(ref) Pierre::2004-11-21 Stratégies gagnantes pour intégrer les TIC

En principe l’hypertexte peut donner des relations de façon exponentielle. Dans les faits l’arbre des possibilités tend à s’élaguer d’elle-même.

En remontant chaque source et en suivant cheque référence je suis en mesure de recréer la conversation et son contexte. Je vous grâce des détails pour en arriver là.

Je suis remonter jusqu’à la « source » et je les ai divisé en « cluster ».

Voici donc ce que ça donne, si on s’amuse à formater comme sur un forum.

J’ai mis en indentation les commentaires les plus pertinents ainsi que les références et les pings.

(en gras, ce sont les billets)
(en italique, ce sont mes résumés personnels de ce qui a été dit)

1.Stéphane::2003-09-15::Coconstruction vs cybercarnets (+6 commentaires)
« Les cybercarnets sont-ils des outils efficaces pour soutenir la construction collective de savoirs? Les cybercarnets sont surtout adaptés à la construction individuelle »
(ping) Marie Hélène
(réf) Knowledge Forum « logiciel dédié à la coconstruction de connaissances »
(réf) Portolio de l’institut St-Joseph
–(comm.) Clément::2003-09-15:: »La publication est la fonction première des carnets, mais doublé de mécanismes de résautage on s’approche de la coconstruction. Mais est-ce que les carnetiers prennent la peine de revenir sur leur billets pour les enrichir au fil du temps? »
—-(réf) Personal knowledge publishing and its uses in research « It’s an emerging form of knowledge sharing called personal knowledge publishing« .
—-(réf) Knowledge work as a craft work « Chronological structure of k-logs makes it straightforward to capture an audit trail of an evolving knowledge work product »
—-(réf) Architecture Matters: The Rebirth of Public Discussion « Blog discussion goes through different architectural design pattern « you own your own words« .
–(comm.) Marie-Élaine Jobin::2003-09-18:: »Le meilleur exemple de début de coconstruction ne serait-il pas ici l’utilisation potentielle du carnet comme« knowledge building » en communauté? »
–(comm.) Christine Hamel::2003-09-19:: »Je ne crois pas qu’on soit ici en présence d’une coconstruction des connaissances… »
–(Comm.) Stéphane::2003-09-19 :: »C’est un journal de pratique réflexive plus évolué et surtout plus ouvert! »

–Christine::2003-09-16::Le débat est lancé… (+13 commentaires) « Est-ce qu’il a vraiment une construction collective de sens puisque c’est moi qui améliore mes idées, les peaufine, les change au contact des autres? »
–(réf)Retour en enfance… (« l’usage des cyberporfolios à l’institut St-Joseph où une communauté d’apprentissage se forme« )
—-(comm.) Mario::2003-01-16:: »C’est pour toi une construction à partir de points de vue collectif puisque les autres ont contribués (en te lisant et en réagissant) »
—-(comm.) Christine::2003-01-16:: « mais ne sagit-il pas plutôt d’une construction personnelle grâce aux interactions avec la collectivité? »
—-(comm.) Clément::2003-01-16:: »Une construction de sens peut prendre place sans que cela ne soit forcément « visible ». Quel est l’intérêt de chercher à rendre visible une construction collective de sens si l’ensemble des personnes participantes aux échanges sont personnellement engagée dans une construction de sens qui est perçu comme telle? » (+ un ping humain à Seb)
—-(comm.) Christine ::2003-01-16:: « La construction collective de sens amène les auteurs à le négocier pour en arriver à une compréhension commune et collective qui sera partagée par le groupe et non pas s’en servir à des fins personnelles, plus individuels »
—-Clement::2003-09-17:: Les carnets et la « construction de sens »: affaire collective ou personnelle? (1 commentaire)

2. Les deux billets du point c sont en fait des parties d’une discussion commencée plus tôt par :
Mario::2003-12-10::Sans hyperlien !(+9 commentaires)
–Clément::2003-12-10::(réf) zone proximale de développement
—-Mario::2003-12-11-10::(réf) Le professeur peut avoir tort. Réfléchissez vous-même
–Stéphane::2003-12-11::Bloguesphère: la danse de l’abeille
—-Stéphane::2003-12-11::(réf) http://ask.metafilter.com/
—-Clément::2003-12-11::Les carnets: pour qui? pourquoi? Et moi dans tout ça…(+4 commentaires)
——Stéphane::2003-12-29::Bloguesphère: la danse de l’abeille (revisité) (+2 commentaires)
——–Stéphane::2003-12-29::(réf) Une toile vraiment intelligente!
——–Stéphane::2003-12-29::(réf) Web sémantique, prise 2

3.Gilles::2004-11-06::Après trois mois (+3 commentaires **)
—-Gilles::2004-11-06::(réf) Carnets vs Wiki
—-Gilles::2004-11-06::(réf)Welcome to my life…….
—-Gilles::2004-11-06::(réf) http://www.portfolio-multi.net/
—-Gilles::2004-11-06::(réf) http://www.dotclear.net/
——Mario::2004-11-06::La pensée « socio-hypertextuelle » (+1 commentaire **)
——Stéphane::2004-11-07::Les blogues, banc d’essai sécuritaire pour les réflexions (1 commentaire)
——Pierre::2004-11-09:: Stratégies pour suivre le fil!

** Arrivé à cette étape de mes recherches, je remarque que je suis moi-même entré dans la conversation sans le savoir: j’avais commenté un billet de Mario sans connaître ses liens avec celui de Gilles et encore moins avec la recherche en cours. Hum. Suis-je un suspect dans la démultiplication du contexte? heureusement, je m’en suis tenu à quelques phrase sans donner d’hyperlien!

Mais maintenant, que faisons-nous? nous voilà avec trois sources, voyons les réponses provoquées par le post lui-même pour avoir un portrait global: quatrième point.

4. Stéphane::2004-11-21:: Blogue, wiki, forum: quelle place pour l’individu? (5 commentaires)
–Pierre::2004-11-21:: Réflexion du dimanche matin
—-Pierre::2004-11-21::(réf) Forum de LinuxÉdu-Québec
—-Pierre::2004-11-21::(réf) Stratégies pour suivre le fil!
—-Mario::2004-11-21::Analyse de pratique dans l’utilisation de certains outils de publication Web
—-Mario::2004-11-21::(réf)Glossaire subjectif du jargon carnetier
—-Stéphane::2004-11-21::Blogue, wiki, forum: quelle place pour l’individu? (partie II) (+3 commentaires)
——Pierre::2004-11-21::(réf) le wiki peut aussi servir à développer une vision commune d’un sujet.

Deuxième remarque aussi, voyez comment les bouts de conversation sont rapprochés dans le temps. Ici, tout se joue dans la même journée (un dimanche de novembre il faut dire).

5.Et on pourrait rajouter un cinquième point (comme table des matières?) ce billet que vous lisez en ce moment.

C’est en suivant tous ces liens présentés ici que vous serrez en mesure d’avoir le maximum de contexte explicite. Bien sûr, je précise explicite car il est toujours possible de chercher du contexte latérale, c’est à dire de fouiller un blogroll, rechercher sur les posts publiés auparavant pour se donner un maximum d’éléments pour appréhender ce qui sera lu.

Ce qui frappe en lisant le tout, c’est de voir que la conversation n’en est pas une avant quelques billets, que les idées fusent ça et là mais qu’il n’y a pas de volonté de créer absolument une conversation formelle, c’est à dire une suite de billets, comme un forum le ferait. Elle se crée après coup, seulement dans la reconstitution qu’un lecteur peut en faire, comme ici.

On voit aussi que les discussions sont en fait des « déchaînements localisés dans le temps » (une salve de posts et de commentaires arrivent souvent dans la journée même). Mais la conversation se poursuit sporadiquement grâce aux hyperliens (4 étapes). Autrement dit, les commentaires apparaissent à chaud mais les trackback à froid.

Autre conclusion intéressante: pour participer à une conversation, il est important de possèder un carnet personnel car les commentaires ne semblent pas être l’endroit pour poursuivre une conversation commencée longtemps auparavant… (Ce que l’on pourrait appeller l’approche organique ou bottom up)

Dernière remarque. Le carnet permet la discussion à bâton rompu, ce qu’un forum ne permet pas toujours (la digression, réelle ou perçue, peut soit étouffer les individus ou soit tuer le forum). La conversation de carnets permet de dévier du sujet de départ.

La première phrase de tout cette (longue) conversation était celle-ci: « Les cybercarnets sont-ils des outils efficaces pour soutenir la construction collective de savoirs? ».

C’est après avoir parcouru ce « contexte » de conversation que vous pourrez situer ce que je vais rajouter:

Je crois que oui. ;-0

Billet original sur http://zeroseconde.com

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Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

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