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Désobéissance civile en temps d’abondance de contenu

Quand ces deux nouveaux comptes Twitter, @RogueNASA et @AltNatParkSer, ont revendiqué être la voix rebelle respectivement de la NASA et de l’U.S. National Park Service, nombreux y ont vu une forme de désobéissance civile face aux assauts du nouveau président américain sur la machine gouvernementale.

L’apparition des comptes rebelles se veut l’écho d’une crainte de la part des fonctionnaires d’une manipulation, à des fins idéologiques, de leurs données scientifiques, par un gouvernement qui a démontré un penchant pour les faits alternatifs.

Et il semble qu’un certain public s’est empressé de leur donner raison en s’abonnant massivement à ces «comptes rebelles».

Pas mal pour des comptes qui n’existaient pas il y 2 ou 3 semaines.

L’ironie de la situation

C’est l’état d’esprit qui règne aux États-Unis qui fomente ce désir de désobéissance civile. Mais créer des comptes rebelles est un solution qui pourrait empirer la situation dénoncée (le combat contre les «fausses nouvelles» et les «nouvelles alternatives»).

1- Premièrement, ces comptes sont, au sens strict, de faux comptes.

En effet, il n’y a pas moyen de savoir qui se cache vraiment derrière ceux-ci.

  • Des fonctionnaires? Ils ne peuvent pas révéler leur identité, risquant d’être mis à pied.
  • Des non-fonctionnaires? Ils sont alors des usurpateurs.

Dans les deux cas, il s’agit de comptes qui ont l’air officiels, mais qui ne le sont pas. C’est la définition même de ce qu’est un faux compte.

2- Deuxièmement, l’authenticité ne peut être vérifiée.

L’adhésion rapide à ces comptes montre comment les réseaux sociaux relativisent ce qui passe pour véridique ou authentique. En l’absence d’autorité pour confirmer que ces comptes appartiennent bien à de soi-disant fonctionnaires rebelles, on constate à quel point les gens sélectionnent leurs sources en fonction de leurs croyances.

Le succès social des comptes rebelles (le fait d’avoir beaucoup d’abonnées) n’est en rien garant de la véracité de ce qu’ils publient.

Le vrai et le faux, un question de choix?

Peut-être s’agit-il vraiment de fonctionnaires passionnés par la vérité qui gèrent ces comptes? Ceux qui ont assisté à sa création et connaissent le contexte peuvent raisonnablement le penser. Mais les autres?

Au contraire, ces comptes rebelles pourraient être ceux de gens qui ont juste sauté sur l’occasion afin de se créer rapidement un auditoire. Qui sait, si c’est le cas, veulent-ils propager aussi de fausses informations, au moment opportun, dans une volonté de manipuler l’opinion publique? Allez savoir!

Nul ne le sait. Il est impossible pour les organismes officiels de reconnaître ces comptes rebelles, compte tenu de ce que le gouvernement américain a annoncé.

  • S’ils disent que ce sont de faux comptes, on les soupçonnera d’être les marionnettes du gouvernement,
  • s’ils disent que ce sont de vrais comptes, ils se feront réprimander par le gouvernement.

Ce que les comptes rebelles font, malgré eux, c’est renforcer le cynisme de la population envers l’autorité.

Tout le monde peut créer des comptes en parallèle aux comptes officiels des organismes gouvernementaux, et même des comptes en parallèle à d’autres comptes rebelles. Tous ces comptes auront l’air de vrais comptes officiels — ou de véritables faux comptes officiels — et la confusion sera encore plus grande que jamais.

Dans ce flot infini de contenu sur les médias sociaux, chacun se trouve encore seul à déterminer ce qui est vrai ou faux. Bref, chacun continue de choisir les faits alternatifs qui lui conviennent.

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

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