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Il faut le downloader pour le croire

On a tendance à projeter sur nos outils de communications des vertus intrinsèques de « crédibilité » ou « d’objectivité ». La télé est plus crédible, ou le journal est plus crédible, ou le blogue est plus crédible. Chaque génération possède son véhicule privilégié pour transmettre la « vérité à distance ».

La crise actuelle des mass-médias découle d’une exigence d’une croyance culturelle que la nouvelle, l’information sur un « événement », ne s’altère pas tout à fait dans sa transmission, transmission qui elle-même doit être invisible afin de préserver « le sentiment qu’évènement et information sont une et même chose » (lire La crise fiduciaire des médias de masse de Jean-Louis Weissberg. Via Mario Asselin).

La crédibilité variable
Selon les époques, certaines formes de communication (oral, écrit, image) semblent « transmettre » plus adéquatement la « réalité » médiate.

Le XIXe siècle comptait sur la grande Presse comme fenêtre sur le monde; Le XXe siècle a proposé le reportage télé comme alternative; progressivement, au XXIe siècle débutant, nous voyons baisser la confiance envers ces médias et la montée de nouvelles modalités.

Les mass-médias voient apparaître des alternatives à l’accès à l’information : les jeux sérieux, les blogues, les podcasts, les flikr, les del.iciou.us, les youtube offrent une « re-création » d’un événement, d’une nouvelle, qui semblent « plus crédibles », plus « vraies ».

Les créateurs d’événements
C’est une la chute du « il faut le voir pour le croire » (voir au sens de regarder l’image à la télé ou dans un journal). Une image ne vaut plus mille mots. Mille images valent mieux qu’une seule.

La facilité de trucage qu’offre le numérique entretient le doute permanent. Mais on ne peut pas truquer 1000 images de 1000 sources.

C’est la base de la crise de légitimité de l’audiovisuel institutionnel. C’est la base de la crise de la médiation de masse tout court: maintenant le réseau des réseaux permet aux acteurs ou aux spectateurs d’un événement de devenir eux-mêmes les producteurs et les diffuseurs exclusifs ou collectifs de cet événement.

Le mode d’auto-publication permet à tous de lier événement et médiatisation, c’est-à-dire que le fait de publier sur un événement, le crée plus qu’il ne le rapporte. Le « monde tel qu’il est », ce monde vu par ceux qui le rapportent, vient d’entrer dans un big bang. Le droit divin des mass-médias de créer l’événement a été donné au peuple. Pas étonnant que nous sentons que le monde s’accélère.

La fin des médias n’est pas à l’horaire
Mais alors, les médias, c’est fini? Non, ils vont s’adapter. J’en donne comme preuve l’excellent article sur les HFCS dans le New York Times de dimanche. Sur Internet circule tout plein d’information sur la corrélation entre l’introduction du produit synthétique dans le circuit alimentaire américain et l’augmentation du nombre de cas d’obésité.

Si la corrélation est troublante, elle n’est malheureusement pas prouvée scientifiquement, de l’aveu même de du scientifique qui a émis l’hypothèse (maintenant enterré sous tous les commentaires et les billets sur le web).

Les médias de masse comme catalyseur de nos questionnements sur le web
Il est possible de s’informer sur Internet, mais il est impossible d’en faire une synthèse objective. Reconnaissons-le, nous n’avons jamais le temps. Le journaliste devient alors le fiduciaire de nos questionnements et est payé à fouiller les sources, creuser les contradictions et faire le suivi.

Actuellement, le marché de la blogosphère, des médias-citoyens et tout ce bénévolat créatif n’arrivera jamais à la cheville d’une équipe de journalistes quant à la qualité (et là n’était pas le débat).

Si les médias ont bien pris note, et je vais le reformuler pour bien me faire comprendre, ils verront leur survie ou leur disparition dans l’acceptation que la sphère publique possède maintenant un lieu ouvert et accessible à tous et que s’il est clair qu’ils n’ont plus le monopole de l’accès aux sources, ils devront devenir des filtreurs de « sens », des débroussailleurs de « mèmes« , des pourfendeurs de « rumeurs », les enquêteurs de nos questions qui circulent sur le réseau.

Un événement sur le web, est aussi un événement sur la place publique. Nous attendons d’eux qu’ils fassent la recherche, la synthèse et développe des pistes de réflexion plutôt que de seulement reporter l’information (au quel cas, à ce jeu, ils ne seront que souvenir demain).

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

3 thoughts on “Il faut le downloader pour le croire

  1. Je suis d’accord avec les points soulevés; seulement, je ne pense pas que le Net joue encore un rôle important à ce point. la télévision est très, très loin d’être surpassée en tant que source d’info (ce n’est pas tout le monde qui est plogué sur le Net).

    C’est un point de vue qui se retrouve souvent parmi ceux qui fréquentent beaucoup la blogosphère (comme nous). N’oublions pas non plus que les blogues, et autres Youtube sont fréquentés par moins de 20% des surfers.

  2. Le citadin, pour ce qui est du nombre, je ne peux être que d’accord avec vous. Par contre pour ce qui est de la baisse de crédibilité des médias de masse, la tendance est généralisée.

    L’image en direct, le reportage en direct, les institution « légitimes » qui nous « racontent » le monde (incluant la politique) sont moins suivi qu’auparavent.

    Weissberg dit qu’un « certain régime de vérité est révolu : celui par lequel l’image enregistrée lors d’une capture directe (photographie, télévision, etc.) renvoyait au caractère apparemment immuable du passé. »

    Les techniques traditionnelles de relais du réel entrent en crise, car il émerge des moyens pour expérimenter le monde (comme les jeux sérieux, les forums, les podcasts, etc) qui, actuellement, possèdent un croissance de « crédit » qui dénote un nouveau régime de croyance émergent.

  3. Très intéressant, Martin. Je pense aussi que les journalistes ont encore du pain sur la planche, mais les gestionnaires de presse risquent de se sentir déboussolés et de surévaluer l’importance de la blogosphère par rapport à leur travail, s’ils ne mesurent leur performance qu’en termes de fréquentation. Du sensationnalisme et de l’audimat, on risque de glisser à l’effet de mode et au «visiteur-uniquisme», les journalisme étant de moins en moins bien rémunérés pour leur travail.

    Reste alors à guider les gestionnaires vers ce qui peut constituer une valeur ajoutée monnayable à la production journalistique. Pour moi, il est clair que les textes journalistiques devraient être tous disponibles sur Internet, afin de maximiser la fréquentation et les rentrées publicitaires.

    La valeur ajoutée monnayable pourrait venir de sources documentaires fiables et « prouvées », accessibles seulement aux abonnés (papier ou virtuel) : entrevues brutes en audio ou vidéo, communiqués de presse en version intégrale, courriels échangés, liens Web, etc. Je serais prêt à payer un frais mensuel pour accéder aux sources de mon quotidien préféré, ce qui me permettrait de vérifier le contexte dans lequel telle petite phrase a été prononcée ou d’approfondir un sujet qui m’intéresse. Qu’en penses-tu ?

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