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Le cas Kony

Voilà un beau cas. Vraiment. Imaginez une prise de conscience qui n’émerge ni de la sphère politique, ni de la sphère médiatique, ni de la sphère académique. Bienvenue à Kony 2012!

Capture d’écran 2014-04-13 à 10.20.54

Quand j’ai commencé à écrire ce billet hier soir, la vidéo, déposée sur YouTube lundi dernier, avait déjà 11,6 millions de visionnements. Elle frôle les 39 millions au moment de terminer ce billet. Combien en aura-t-il quand vous lirez ce billet?

Mais commençons par le début. Fermez Tweetdeck quelques instants, prenez une grande respiration et placez votre vieux 33 tours d’Harmonium sur le tourne-disque pour vous mettre dans l’atmosphère.

On a mis quelqu’un au monde, il faudrait peut-être l’arrêter

Voici, brièvement, l’histoire de Kony 2012. Je reprends une partie du texte de Dominic Arpin qui résume très bien la situation:

«Le réalisateur et activiste Jason Russel a un rêve : l’arrestation en 2012 de Joseph Kony, un seigneur de la guerre ougandais qui enlève des enfants depuis plus de 20 ans pour les transformer en soldat ou en prostitué.

Mais Jason Russel n’est pas qu’un rêveur. C’est aussi un homme d’action. […] il vient de lancer une campagne sans précédent pour provoquer la capture du criminel de guerre.

[…] Essentiellement, Jason Russel souhaite faire de Joseph Kony une vedette. Pour qu’il cesse d’être « invisible ». Pour que l’on sache enfin qui il est. Et pour mettre de la pression sur les gouvernements afin qu’ils accentuent leur recherche de ce criminel de guerre.»

Pour un instant, j’ai oublié son nom

La vidéo dure environ 30 minutes. Elle est en anglais (elle est destinée aux Américains). Sa facture professionnelle et formelle donne de la valeur au contenu. Ce n’est ni un documentaire, ni du journalisme. C’est une vidéo de promotion d’une cause humanitaire.

Et vous êtes prié, dès le début, de bien porter attention, car vous pourrez jouer un grand rôle pour la paix dans le monde, tout en pleurant toutes les larmes de votre corps:

La vidéo illustre la puissance des réseaux sociaux pour changer le monde. L’auteur défend une cause qui lui tient à coeur: le sort des enfants-soldats kidnappés par l’inhumain Kony. Il y décrit sa tactique pour le faire arrêter: si tout le monde sait qui est Kony, il n’aura plus de place pour se cacher. Personne ne doit oublier qu’il est un des criminels le plus recherchés pour crime de guerre de la planète.

Kony 2012 est une campagne pour s’assurer que plus aucun enfant ne perd son enfance aux mains de ce monstre.

Pour en savoir plus:
Site officiel
Info sur Kony, Wikipedia
Kony 2012: la force du nombre (Dominic Arpin) réaction à chaud, plusieurs liens
We got trouble (Grant Oyston) mise en garde contre le mouvement Kony 2012
– Guest post: Joseph Kony is not in Uganda (and other complicated things) (Foreign Policy)
– Réponses aux critiques ci-dessus par les auteurs
Compléments de nouvelles par l’excellent Guardian
Une mise en contexte du Figaro
-(ajout) Un aparté très bien documenté de JF Lisée.

J’ai regardé si loin, que j’ai tout compris

Maintenant, intéressons-nous davantage à la forme de la vidéo et du mouvement (je vous laisse le soin de prendre position par vous-même sur le fond).

Nous assistons à une véritable prise de conscience publique, que même les médias et le gouvernement n’auraient jamais réussi à faire [Précision: à faire pour le cas Kony].

Ce mouvement de conscience publique est ce qu’on appelle du «grassroot», il vient de la base et ne relève d’aucune institution.

La vidéo joue sur des cordes (naturellement) sensibles et la rhétorique de l’image et du montage est bâtie de telle façon qu’elle suscite l’adhésion spontanée et le partage immédiat (comme on peut le voir sur les réseaux sociaux).

Elle est virale parce qu’elle est «pleine de sens» (qui ne veut pas arrêter le massacre?). Le «sens», ici, ne doit pas être compris de façon intellectuelle ou journalistique. «Fait sens» ce qui résonne en moi comme un vérité fondamentale. Il y a «sens» quand le passage d’un certain contenu dans mon filtre personnel résonne, fait vibrer une corde sensible en moi.

Un iPad 3 peut «faire sens» dans la communauté geek, mais pas ailleurs. La grossesse de Coeur de Pirate «fait sens» pour les fans de l’artiste. L’élection de Poutine en Russie «fait sens» dans la communauté des journalistes et de ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale.

Toutes informations circulent bien dans les réseaux où elles possèdent un «sens». Par contre, l’échographie de Coeur de Pirate n’a qu’une mince chance de survie dans l’écosystème des Mac addicts. L’annonce du nouvel iPad hier n’a jamais probablement traversé le mur des tweets des journalistes politiques. Et peu de fans de Coeur de Pirate savent qu’il y avait des élections en Russie la semaine dernière.

Mais quand la viralité est très forte, elle quitte les sphères spécialisée et passe dans la sphère publique.

C’est ce qui est en train de se passer avec le mème Kony.


Des institutions vivent en roi chez moi (moi qui avais accepté leurs lois)

En prenant de l’expansion dans la sphère publique, la campagne Kony 2012 rencontrera naturellement une opposition («Attention: un peu de perspective! Tout n’est pas si simple!…» —natürlich, darling, on appelle ça la vie!)

Un viral comme Kony 2012 rencontrera inévitablement des anticorps. La fonction des anticorps est de freiner la propagation du mème.

Parfois, dans des cas violents, il y a même une tentative de récupération par les anticorps qui s’opposent à la chose qui prétend se propager.

Ça a été le cas de McDonald dernièrement, avec sa tentative ratée dans les médias sociaux en janvier. Avec sa campagne #McDstories sur Twitter (où les gens étaient supposés raconter de belles histoires sur la chaîne de fast food), McDonald s’est vue rapidement submergé par un détournement majeur où les usagers mécontents ont plutôt fait circuler des histoires d’horreurs avec son hastag.

Pour le mème Kony 2012, les anticorps vont s’attaquer à deux choses en particulier:

Tactique 1) Refuser que le temps cerveau et la passion accumulée servent la stratégie de Kony 2012.
Pas qu’ils soient en désaccord sur le fond, au contraire, mais les critiques vont proposer d’autres façons de dépenser ce capital. Vous verrez des expressions comme «bonne cause, mauvaise approche», «c’est non-productif» ou «c‘est beaucoup plus compliqué que ça»…

Tactique 2) Détourner l’attention du message principal (pour ralentir la propagation).
C’est en semant le doute sur des éléments secondaires qu’on touchera au «sens», donc à la viralité, du mouvement: on y pensera à deux fois avant de faire suivre le message quand on «apprend» qu’il y a «deux côtés à une médaille», que «rien n’est simple»! Vous verrez apparaître des critiques sur la crédibilité (gestion des fonds, finalité du mouvement), des procès d’intention (finalité réelle du mouvement), ou des précisions documentaires (Kony n’est plus à telle ou telle place; tel ou tel gouvernement est aussi responsable)…

Nous empêcher de penser en rond exerce l’esprit critique. Parfait. Mais les anticorps servent d’autres causes.

Dis-moi, c’est quoi ta toune (qui revient dans tes oreilles tout le temps)

Les anticorps proviendront principalement de deux institutions, la politique et les médias. Leur point de vue sera évidemment distillé dans le public qui reprendra leurs arguments («oui, mais…!»).*

(*Ajout: C’est de la ‘logique institutionnelle’ de la sphère politique (l’action) et celle des médias (l’information) dont je parle. Elle génère des logiques d’argumentation critique. Mais les critiques elles-mêmes peuvent venir des citoyens qui ont intégrés ces logiques. Mais à mon avis, les plus crédibles des critiques viendront des membres eux-mêmes de ces sphères)

– Politique

Au niveau politique, il y aura soit une tentative de récupération (de la part des opportunistes) ou une tentative de fin de non-recevoir (les «priorités sont ailleurs!»). Ou une troisième voie: ceux qui sont au courant du dossier, mais qui ne veulent pas se faire bousculer.

Dans nos démocraties représentatives, on n’aime pas trop les demandes du peuple qui sortent des ornières des urnes.

Ce que l’institution politique craint le plus, c’est le rapport de force qu’est en train de bâtir Invisible Children (ceux derrière la campagne Kony 2012). En instrumentalisant la foule, Invisible Children se créent une masse critique dans l’opinion publique, qui attirera inévitablement les politiciens opportunistes. Les tenants de la troisième voie feront alors face alors à du lobbying de l’intérieur.

Quand on sait que la solution n’est pas militaire, mais politique, et, dans ce cas-ci, complètement multilatéral, la résistance sera d’autant plus forte qu’on ne voudra/pourra pas agir unilatéralement. Vous entendrez alors du monde dire qu’il faut «réfléchir avant d’agir».

Ce qui compte en fait pour la sphère politique, c’est de ne pas laisser la sphère publique prendre l’initiative. Elle tentera alors d’appliquer la tactique 1 et refusera la façon que la solution Kony 2012 se met en place. Ceux qui croient en la sphère politique prendront cette position.

– Médias

Au niveau médiatique, il y a certainement un effet de courroie de transmission. Les médias ont bien compris la leçon maintenant qu’il ne peuvent plus contrôler l’agenda public et ils devront rapporter le phénomène dans leurs pages.

Sur la plupart des blogues de journaux, il y aura un petit billet en ligne (peut-être même dans les journaux papier) et le niveau d’enthousiasme variera en fonction du fait que ce soit un vieux loup ou une jeune recrue qui écrira le papier.

Les plus sérieux feront leur devoir et fouilleront l’historique du mouvement. Les autres feront le relais sur Twitter.

Ils utiliseront la tactique 2 en détournant l’attention vers des détails. Parce que le film n’est pas un doctorat de 400 pages qui présente exhaustivement toutes les facettes de la situation, ils citeront certaines personnes qui voudront nous dicter comment se comporter face à la «problématique Kony» («Kony oui, mais Kony 2012, non!»

Il y a toujours quelqu’un pour rappeler qu’il y a «deux côtés à une médaille»! Feignant un insensible cynisme le journaliste pèsera le pour ou le contre inlassablement jusqu’au prochain sujet qui dominera la une.

Les médias montreront les «deux côtés de la médaille», même s’il ne s’agit pas de la même médaille : ils montreront les pourcentages des dépenses des dons ou publieront des commentaires de gens sur le terrain. Tout ça pour notre grand bien (et ceux qui ne le feront pas passeront pour de mauvais journalistes).

L’enjeu n’est pas tant la vérité ou l’action que la perpétuation de l’éternel doute et surtout d’empêcher l’autononomisation de la sphère publique d’agencer les priorités publiques sans leur apport.

C’est toi qui es tombé en pleine face 

Mais pourtant, ici, une fois confirmé qu’il ne s’agit pas d’un canular, ni d’une fraude, le mouvement de conscientisation ne pourra pas être arrêté.

Certains mettront en doute la légitimité du mouvement simplement parce qu’il n’a pas été sanctionné par des institutions (politique, médiatique, académique). Les institutions sont celles qui hiérarchisent les priorités. Les institutions refuseront de facto que la sphère publique puisse le faire.

D’autres crieront au vol, car Invisible Children demande 30$ pour recevoir un «kit de propagande». Ces   mêmes gens le twitteront sur leur iPhone à 500$, pour lequel de jeunes Chinois sont morts. Mais ont-ils compris que le 30$ n’est pas un don, mais bien un échange commercial pour payer le matériel (et probablement un peu de profit) et sauvera peut-être de jeunes Africains. Changer le monde ne devrait que se faire sur une base bénévole?

On reprochera probablement à la vidéo de 30 minutes qu’elle n’ait pas tout dit. Mais cette vidéo n’est pas un cours d’histoire, ni un documentaire, ni un bulletin de 20 h. C’est un mes-sa-ge. Elle ne demande ni approbation, ni confirmation. On y adhère ou non

Toute pression sur les dirigeants pour ramener Kony devant le tribunal pénal est probablement une bonne chose. Et si cette demande vient de la sphère publique, qu’on ne pouvait pas entendre auparavant, c’est aussi une bonne chose.

Aujourd’hui je dis bonjour à la vie

Le cas Kony montre comment la sphère publique, s’il fallait une ultime démonstration, peut orienter les agendas publiques de façon autonome.

Avec la passion d’un père de famille, déterminé à changer le monde pour son fils (c’est la rhétorique persuasive utilisée dans la vidéo) et une certaine maîtrise des codes des médias sociaux (faire appel aux sentiments, provoquer le partage, créer un mème), on voit une foule se laisser diriger non pas vers quelque chose qu’elle ne veut pas (ce que les politiques ont souvent tendance à faire), mais vers quelque chose qu’elle veut.

Ce à quoi on assiste, c’est à la levée d’une sphère publique qui tente de dicter au gouvernement ce qu’elle juge comme une priorité. Elle apprend, aujourd’hui encore maladroitement, à appuyer de tout son poids, avec une conscience d’elle-même, sur des enjeux qu’elle aimerait voir régler. Maintenant. Tout de suite. Au nom des droits de l’Homme.

Car Kony 2012, c’est un choix. Celui de faire connaître ce monstre à tous pour qu’il n’y ait plus personne pour dire que ce n’est pas son problème. Pour que Invisible Children puisse sentir qu’il a enfin un rapport de force pour faire bouger les choses.

Car Kony 2012, c’est de la realpolitik. Celle faite de pression et d’alliances objectives. C’est un mouvement d’opinion qui met Kony et les gouvernements sur la sellette.

Car Kony 2012, ce n’est pas la réalité, c’est comment on souhaite que les choses se passent.

Kony 2012, c’est le désir que la justice soit faite.

Et personne n’a le droit de vous retirer ce rêve.

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

17 thoughts on “Le cas Kony

  1. Merci pour cet article bien pensé à propos du cas Kony!

    2 petites idées:

    1. Dans les réactions négatives, il manque un élément à mon avis qui est l’inconfort d’avoir des « bonnes causes » utiliser des méthodes quasi-commerciales pour pousser leurs idées. C’est en partie vraie pour cette campagne, ça l’est aussi pour des œuvres beaucoup plus modestes qui font du push (quand ce n’est pas du harcèlement), du viral et autres tactiques du genre.

    Même lorsque je suis totalement convaincu du bien fondé de la cause, certaines méthodes me hérissent le point et pour en avoir discuté avec plusieurs personnes, je ne suis pas le seul. Clairement cette campagne pousse cette logique un cran plus loin. Ce n’est pas un rejet réfléchi, c’est juste un sentiment de ras-le-bol généralisé contre ce qu’on essaie de nous fourrer dans le crâne à longueur de journée et une sorte « même si les bonnes causes s’y mettent, que va-t-on faire ».

    2. Ceci dit, dans ce cas précis, ce n’est pas _juste_ un gros meme. C’est une action de longue durée qui a déjà porté de nombreux fruits (comme l’envoi d’une force américaine) et qui va chercher son point d’orgue par une vaste campagne. C’est surement ce qui sauve le message comparativement à n’importe quelle autre cause qui commencerait par une telle campagne. Je ne sais pas combien de personnes adhéraient au mouvement (sur facebook, en donnant, etc.) avant la publication de la vidéo mais c’était visiblement élevé et ça donne une crédibilité énorme en plus d’une masse de « propagateurs » initiaux sans commune mesure. C’est surement là que réside toute la force et la beauté de cette campagne.

  2. Hoedic. Merci. Je retiens l’idée de l’inconfort des causes « marketées » comme des pubs. C’est effectivement aussi un pan important de tout ça!
    Pour ce qui est du mème, je précise que je ne parle que #Kony2012. Le projet Invisible Children est plus vaste et dépasse ce mème. Mais #Kony2012 est réellement une mème, bâti et voulu comme tel. Il est solide car il se greffe à quelque chose de plus longue durée, merci de me le rappeler!

  3. Merci Martin pour ce méticuleux travail d’analyse des réactions qu’apportera cette vague.

    L’opération de Invisible Children vient clairement démontrer que ceux qui maîtrisent parfaitement le marketing social et les outils de communication des médias sociaux sont capables de soulever des vagues de sympathie envers une cause, une marque ou une personne. Il est clair que la construction de la vidéo, qui part du sentiment personnel pour aller vers la cause collective, est une affaire d’habileté à façonner le message pour toucher les gens droit au coeur et donner l’impression de pouvoir agir sur leur monde. Si le message génère une émotion et que les médias sociaux permettent de le transmettre à des millions de personnes, la vague naît.

    Il s’agit là d’un exemple dont on parlera longtemps car il constitue certainement le premier d’une longue série à venir au cours des prochaines années. D’une part, les médias sociaux, qui porteront ces messages, confirmeront leur efficacité à transmettre des messages. D’autre part, l’univers politique de nos sociétés n’a pas finit de se faire ébranler par ces nouvelles approches pour influencer les États.

  4. Intéressante analyse. Je prends note comme Jean-François Marcotte de cette nouvelle technique de communication.

    Dans le fonds, je reste cependant contre le fonds. En parlant de cause… que se passe-t-il si un groupe russe fait une vidéo pour envoyer des militaires russes au nord du Canada, en disant que les nations autochtones sont marginalisés et discriminés depuis 100 ans? et qu’ils parlent de la misère, suicide et autres violences dans ces régions? que si ce groupe réussit à avoir l’appui du public sur youtube/twitter et facebook, en demandant justement que la justice soit faite au nom des nations autochtones, avec des dizaines de milliers d’autochtones dont le futur a été volé? Après Moscou qui cède aux pressions internationales et fait rentrer un sous-marin au Québec pour protéger les minorités locaux.

    [Oui tu vas me dire comparer la vie de 30,000 enfants aux soucis des autochtones, c’est facile, mais la cause est aussi bancale que celle de Joseph Kony]

  5. Tes prédictions sont sans doute valide pour une majorité de personnes. Déjà 50M de visionnement sur youtube.

    Pour ma part je ne me laisse plus enfermer par ce genre de dialectique. Ce problème ne me concerne pas. Il y a des milliers de salopard de ce calibre. Que ceux qui veulent s’engager le font mais ne me disent pas que je dois me sentir concerner sinon je l’envoi lire des philosophes hédonistes.

    Et puis « Poutin » dans ton texte ne fait sens que parce que tu parles de la Russie et je comprend que tu parles de Poutine et pas de frites a la sauce brune. lol

    Paul

  6. Heri, Ma réponse longue: la manipulation de la sphère publique n’a pas attendu Internet. Que ce soit du grassroot ou de l’astroturfing, certains mouvements de foule dans la sphère publique créent des remous géopolitiques. La kristallnacht en Allemagne (1938), les pogroms en ex-Yougoslavie, la panique nationaliste américaine qui a mené à l’envahissement de l’Irak et de l’Afghanistan, les rancoeurs musulmanes contre l’Occident… Bien sûr, la plupart des exemples cités sont à la limite sinon carrément de l’astroturfing ( les nazis, les ayatollahs, les faucons de Bush…). Ton exemple russe est tout à fait plausible. Je dirais même ce que ce sera plus les Chinois qui vont faire ce genre de coup dans 25 ans. Pourquoi parle-t-on des massacres au Tibet aujourd’hui et pas du massacre des Indiens du Midwest il y a à peine 150 ans aux USA? Pcq c’est un rapport de force. Demain les Russes (ou plutôt les Chinois), oui, tu as raison. Mais mon point ici est moins de justifier Kony 2012 que de démontrer les nouveaux rapports de forces. La sphère publique est ici manipulée (volontairement) non pas par le gouvernement, ni les médias, ni une quelconque élite, mais pas une ‘bonne cause’, basée sur des « sentiments de bon père de famille’ d’un certain regroupement (Invisible Children). À une telle échelle, avec de tels effets (vitesse, propagation, rhétorique), sur ce type de canal. Je ne crois pas que ça s’est vu.

    Et pour répondre simplement, ma réponse courte: oui, la sphère publique est comme un éléphant dans un magasin de porcelaine et viendrait bousculer des années de diplomatie. Le ‘droit d’ingérence’, de toute façon, n’est pas un concept de Invisible Children. Il n’est pas acquis encore dans la sphère géopolitique d’une manière franche, mais plusieurs signes montrent que dans les faits, on pourrait y a basculé un tout petit peu. Éventuellement, complètement? Si oui, les autochtones du Canada vont applaudir leurs nouveaux sauveurs.

  7. esprit logique. Je crois, pour reprendre une idée de Hoedic plus haut, que le sentiment de rejet est aussi causé par un trop plein de messages rhétoriques qui font appel aux sentiments et non à la logique.

    Kony2012 ne fait pas exception. Il carbure complètement sur l’émotion pour faire bouger les gens. Ce que tu déplores. Je serais tenté de penser comme ça, si on m’assure que je ne vais pas tomber dans un vilain relativisme cynique.

    Philippe Nassif a déploré dans ‘la lutte initiale’ (le titre de son livre) l’idéologie nihiliste qui refuse les valeurs partagés et ne reconnait que des intérêts particuliers. L’idées s’effacent devant les rapports de pouvoir et la loi commune laissent alors place à un relativisme autiste. Il suggère une ‘lutte initiale’ où chacun doit retrouver un ‘héroïsme d’expérience de vérité’, c’est-à-dire de s’autoriser soi-même à lutter pour des symboles et poursuivre un désir.

    J’ai l’impression que le mème Kony2012 fait ça en ce moment dans la population. Il fait ‘vibrer les masses’ sur une note qui les relie entre elles. C’est peut-être la définition de la culture au 21e siècle dans un monde globalisé…

  8. Hahaha,
    Alors je serais le vilain cynique parce que je relativise et attache plus d’importance a mon environnement immédiat.

    Mon commentaire court et un peu polemique prête a cette réplique cinglante. 😉

    Quand tu raisonnes pour les masses ton raisonnement reste valable mais sur ce terrain personnel tu te plantes et pas qu’un peu. Désolé d’avoir a te le dire.

    Nous avons une masse de moutons et c’est sans doute plus facile a gérer pour les gouvernements et les publicitaires et professionnels du marketing. J’oserai même dire une masse de « chretins ».

    Je refuse les valeurs ou la morale dominante que lorsque elle ne sert pas mes intérêts et ceux de mes proches.

    Ca me fait sourire quand un geek me parle d’autisme. Et puis ne tire pas trop d’information d’un simple visionnement. Les films d’horreurs connaissent aussi un grand engouement auprès du public.

  9. Oh, Paul. je ne parlais pas de toi mais de moi et le relativisme. J’ai bien de la difficulté avec le relativisme, si attirante et si néfaste à la fois. Je n’ai pas trouvé encore de parade.

    Que tu souhaites ne pas embarquer dans #kony2012 (avec ‘esprit logique’ je sais à quoi m’attendre) ne me surprend pas. Mais je ne juge même pas tes raisons. Ce sont les tiennent et elle valent bien les miennes (tiens, le relativisme revient au galop).

    Je citais Nassif car il me semble pointer vers une piste pour sortir du nihilisme pour le commun des mortels. Le scientifique n’est pas dans ce type de rapport (position plus proche, je crois, de la tienne, qui n’est pas celui d’un ‘autiste’).

    Nassif suggère qu’une « lutte initiale’ doit nous mener à nous extirper du relativisme. Pour y arriver, il faut croire en un désir. Kony2012 joue exactement ce rôle.

  10. Je pense que même un court  »publireportage » de 30 minutes devrait contenir des faits réels. Kony n’est plus en Ouganda depuis 6 ans mais au Congo, qu’il le mentionne; il y a eu 30 000 enfants abusés, mais pas 30 000 enfants soldats, qu’il nous donne les vrais stats. Pourquoi ? Pour justement éviter le plus de détracteurs possibles.

    Tout le monde est d’accord que ce qui s’est passé pendant 20 ans là-bas est affreux. Pas besoin de changer les faits, ça va être efficace quand même.

    Autre point sur lequel je ne suis pas d’accord avec vous, c’est que vous appeliez ça du  »grassroot ». On est loin du  »grassroot » quand on sait que l’organisme dispose de millions de dollars pour la production vidéo et le marketing.

    Par contre, je dois dire que d’un point de vue marketing, c’est un chef d’oeuvre de viralité.

  11. ICO-Éric
    Au sens strict, il n’y a jamais de ‘grassoot’, effectivement, car il faut une main pour planter la première graine. Au sens large, c’est un phénomène qui part de la base et monte l’hiérarchie sociale («bottom-up»). Ce n’est ni les autorités, ni les médias qui ont démarré le phénomène (ce qui aurait été du «top-down»). Kony2012 est partie de la «base» (l’argent vient de là, non?).

    J’ai choisi le terme grassroot car il est utilisé justement en marketing http://en.wikipedia.org/wiki/Grassroots. Je ne vois pas comment qualifier autrement l’opération, car toutes les techniques de persuasion utilisée dans le vidéo et la campagne en ont les attributs…

  12. wow un trafic avec 30.000 enfants abusés c’est énorme.

    @Martin
    Au niveau philosophique, je ne suis ni un nihiliste et ni un sceptique. Je serai plus proche d’un hédoniste matérialiste.

    Je respecte les différents point de vue a condition qu’ils soient intrinsèquement cohérent avec les faits qu’ils utilisent. Dans un second temps, je regarde si ça reste pertinent et cohérent avec les faits que je connaîtrais et pas l’auteur.

    Maintenant si tu es soucieux de l’opinion publique de tes billets (« vilain ») alors vu la mentalité dominante occidentale et chrétienne, je te déconseille plutot de suivre mes positions et de rester avec le reste du troupeau de moutons blancs. 😉

  13. Belle analyse Martin,
    Je voudrais revenir sur le point des anticorps. Je vois une troisème tactique de plus en plus populaire, et qui dépasse (de loin) le cadre des memes: c’est la technique Karl Rove: décrédibiliser le messager (dont on parle aussi ici dans un autre contexte: http://goo.gl/TZVl0 )

    Tu as du remarquer que beaucoup de critiques se font à l’encontre du réalisateur, de sa manière de mettre son fils de l’avant, ou encore sa photo avec des armes dans la forêt. On s’éloigne du débat de fonds pour frapper là où le monde s’en souviendra… en bas de la ceinture.

  14. Ouf… Nous entrons sans aucun doute dans une nouvelle ère d’ignorance, aussi inondés d’information seront nous. Par vos savantes prédictions, vous mettez dans le même sac : les intérêts privés, les lobbys, le sens critique, et l’éthique journalistique, en les dénaturant complètement. Un anonyme a bien résumé ci-haut la nature de ce mouvement bien-pensant : «la fin justifie les moyens»… Et nous voilà engagé dans l’aveuglement, croyant que rien de ce qui est venu avant nous ne mérite d’être considéré, et que même, les médias tout autant que les gouvernements, ne sont que des empècheurs de tourner en rond! Moi, cette puissante propagande, qui aura très certainement un effet très bénéfique cette fois-ci, ne me rassure pas pour le futur : elle me fait peur. Classez-moi donc dans la catégorie de tactiques qui vous plaira (1, 2, ou 3?), croyant ainsi avoir débouté quelque arguments de ma part.

  15. @ICO-Eric, les sources des statistiques que Invisible Children utilise dans le film ont été déposées sur leur site; les voici plus bas. Évidemment citer une (1) source n’est pas une preuve (d’autres sources peuvent venir la contredire), mais ce ne sont tout de même pas des sources peu crédibles et Invisible Children ne les cache pas…

    «30,000+ children abducted in Uganda by the LRA»
    Source (2007): http://www.worldvision.com.au/Libraries/3_1_1_-_Issues_-_Children/Child_soldiers_Uganda.pdf

    «66,000 youth (interviewed when 14-30 years old) abducted by the LRA»
    Source (2006): http://chrisblattman.com/documents/policy/sway/SWAY.Phase1.FinalReport.pdf

    »2.1 million people displaced in Uganda»
    Source (2010): http://ochaonline.un.org/ocha2010/uganda.html

    «440,000 people displaced in DRC, CAR, and South Sudan»
    Source (2011): http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/map_1044.pdf

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