Reseaux_Sociaux

Éditorialisation a posteriori

J’évoquais en 2004 les 3 conditions pour que le RSS devienne grand public. Les trois conditions ont été accomplies (on dit « fil web » et le logo est normalisé; on peut s’abonner en 1 clic; tous les grands navigateurs l’ont intégré). Mais alors pourquoi le RSS est-il si peu utilisé par le grand public? Parce qu’il est resté cantonné à un usage technique. Le RSS a été remplacé par Twitter et Facebook.

http://www.freemediagoo.com/display.asp?result=202Le RSS est une commodité qui facilite le suivi d’info en ligne. Mais le grand public ne suit pas un fil web. Il suit un collègue, un ami pour qu’il le pointe vers une ressource nouvelle. Un ami (un « relais ») joue ainsi le rôle du fil RSS. Un filtre social.

Là où le RSS indiquait ce qui était (techniquement) nouveau, le filtre social permet de trouver ce qui est « socialement nouveau » dans son cercle de relations (pus ou moins étendu). À quoi ça sert de savoir que tel billet est nouveau si personne de son entourage ne s’y intéresse?

Notifications à la main
On veut savoir ce qui éveille l’attention de notre groupe : si le fil RSS permet de suivre ses aiguilles dans la botte de foin, il les présente à plat, sans hiérarchie. Twitter et Facebok offre une fonction d’éditorialisation a posteriori. L’information acquiert une métadonnée supplémentaire: elle représente le Zeitgeist, l’esprit du temps (de son cercle).

Facebook et Twitter offrent la possibilité de faire suivre des liens vers des ressources d’informations quasi instantanément. Facebook, plus privée et Twitter plus public, sont des médias sociaux bottom up.

Le partage de liens constitue, ma foi, l’usage le plus intéressant de ces réseaux. Or, pourtant, Delicious était là bien avant. Pourquoi le « social bookmarking » n’a-t-il pas été adopté par le grand public? Il offre pourtant les mêmes avantages de partage et même plus.

Facebook, parce qu’il permet de restreindre sa communauté à un cercle (plus ou moins) limité. Le partage n’a pas de visée universelle, mais est presque tribal.

Twitter, parce qu’il a su mettre de l’avant le nombre d’abonnés (« followers ») entrant ainsi de plain-pied dans l’économie de l’autopublication en adhérant à la monnaie commune : la reconnaissance. Connaître et identifier son audience grandissante offre une « récompense » à celui qui autopublie.

À mon sens, Twitter a une avance sur ce côté. Le nombre d’abonnés sur Facebook fait moins de sens que sur Twitter. Ce dernier se place mieux dans le nouvel écosystème de l’information.

Tri en périphérie
Le filtre social est une réponse à la surabondance d’information des réseaux. Le tri de l’information ne se faisant plus en amont, il est déchargé en aval sur l’utilisateur qui doit adopter de nouvelles stratégies de tri pour gérer cette subite augmentation de connaissance.

Le filtrage social retient ce qui est pertinent dans son cercle de connaissance et répond à une loi toute humaine du moindre effort : une info qui n’est pas de « qualité » (insérez ici vos critères personnels) ne se rend pas jusqu’à vous (ou alors vous vous êtes mal entouré).

Avec la montée des médias sociaux durant cette décennie qui se termine, le filtrage social par la base a atteint une échelle proprement vertigineuse et nous verrons dans les prochains dix ans l’impact que cela aura sur la société. Je suivrai pour vous ces avancés en 2010.

Lire sur le même thème sur Zéro Seconde:

2009-l’année des médias sociaux
Twitter, sous-traitant des moteurs ?
Les moteurs de confiance
Les couloirs numériques
Parler pour ne rien dire
Ecosysteme de l’information

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

7 thoughts on “Éditorialisation a posteriori

  1. Beaucoup de perspicacité dans cette analyse. Étant à la fois un usager des médias sociaux et des services de folksonomies, je pense néanmoins que Delicious et autres demeurent de formidables instruments de tri de l’information, particulièrement à l’aide des mashups. Ces derniers, toutefois, exigent un degré de technicité peu populaire. Si les services comme Delicious n’atteindront jamais la popularité de Twitter ou Facebook, c’est également en raison de répondre à un besoin qui n’est pas aussi naturel que de socialiser.

    C’est justement dans cette absence de répondre à un besoin naturel que Delicious prend son importance en tant que filtre de l’information, car il faut un degré de motivation supérieur pour y recourir. Cet effort additionnel fait en sorte que l’information, en plus d’être plus parcimonieuse, a généralement plus de valeur.

    Je seconde l’opinion selon laquelle la prochaine décennie verra l’avènement de nouvelles méthodes de tri de l’information. Il est logique qu’aux technologies de l’information succèdent les technologies d’organisation de l’information.

  2. Pas tout à fait d’accord avec toi, François, quant à l’utilisation de DELICIOUS.
    Le recourt aux Tags est un frein, chacun n’utilisant pas le même Tag pour décrire le même concept.

    Même si je ne l’utilise, je préfère l’approche, tout au moins sa description, de PEARLTREES.

  3. @ François Guité: j’aurais dû encore préciser (mais tu le fais dans ton commentaire), je parle ici uniquement de ce qui est « populaire ». Del.icio.us restant un outil toujours pertinent. Mais il demande « un effort de motivation ». Ce qui est extraordinaire avec les outils plus « simples » comme twitter (utilisé comme partage folk de pointeurs) c’est l’émergence d’effets non anticipés (canal de scoop bottom-up, RT comme éditorialisation, écosystème de tierce partie, etc)

    @ Gaël Plantin: il est vrai que Del.icio.us n’est pas si facile (les tags ne sont qu’un des problèmes). Twitter à mon avis a pris le même chemin que Google: tout simplifier à un seul champ (donnée et métadonnées incluses). Pour ce qui est de la popularité grand public, cela a payé. Ce que personne n’avait prévu c’est vraiment l’effet de RT qui donne une valeur au réseau Twitter et son rôle de liant dans la chaîne entre les Médias sociaux (bottom-up) et les médias institutionnels d’information (top-down)…

  4. Vous dites que l’usage du flux RSS est restreint. permettez-moi de désapprouver : quand le flux de Une du journal Le Monde compte 500 000 abonnés, ce n’est tout de même pas rien !

    PS : Je trouve également Pearltrees infiniment plus pertinent que delicious qui exige une folksonomie rigide et méthodique pour s’y retrouver dès qu’on dépasse le millier de contenus.

  5. Je trouve votre analyse très pertinente quant à l’impact des réseaux sociaux, de plus en plus fort sur le traitement de l’information. Permettez-moi cependant d’apporter quelques pierres:
    1/ il serait plus judicieux de parler de syndication au lieu de RSS. Ce faisant, vous pourriez mentionner la syndication ayant lieu entre les fourniseurs de l’information eux-même, ou avec des aggrégateurs.

    2/ Je rejoins également Moktamara dans son commentaire. Le point principal que je souhaite ammener est qu’il faut bien que l’information débute en quelque part. On pourrait évidement opposer les réseaux sociaux aux agrégateurs et émetteurs d’information plus traditionels (comme les journaux en ligne et les grandes plateformes de blogs, adossés à des services du type « tout votre web sur une seule page »). Je pense pour ma part qu’il faut plutôt continuer à considérer ces deux aspects comme étant complémentaires d’un point de vue pratique.

    Pour vous citer: »Le filtrage social retient ce qui est pertinent dans son cercle de connaissance et répond à une loi toute humaine du moindre effort : une info qui n’est pas de « qualité » (insérez ici vos critères personnels) ne se rend pas jusqu’à vous (ou alors vous vous êtes mal entouré). »
    => je serai tenté de rajouter: au risque que vous soyez mal informé. Si on ne base sa pêche à l’information que sur son réseau, on laisse au libre arbitre d’autres le travail qu’on devrai aussi faire (un tant soit peu) soit-même, et on reçoit une vue déformée, virtuelle, de l’actualité, tout comme celle portées par un grand média dont l’objectif serai, par exemple, de promouvoir une idéologie. Partant de là, il faut soit-même être un butineur qui relaiera à son réseau un peu d’information « fraîche » et, par extension, aller voir ce qui se dit ailleurs.

    Ah moins que votre démonstration ne vise justement à éclairer un phénomène de communitarisation de la toile, et un futur repli sur soit en terme d’accès à l’information ? On en reviendrai cependant à la vieille antienne des progrès techniques comme créateurs vs. simple catalyseurs des comportements sociaux. De ce point de vue là, tout dépend au final des utilisateurs.

    Je pense quant à moi qu’il est intellectuellement sain de ne pas faire entièrement confiance à son réseau social à ce sujet. De même, si je publie de l’information, je ne vais pas le faire uniquement auprès de mon réseau social, à moins qu’elle ne lui soit exclusiement destinée.

  6. Moktamara, il existe une étude qui a montré qu’en 10 ans le RSS n’a pas fait (environ) 5% de plein dans la population (à l’échelle du web et des réseaux sociaux, on appelle ça un échec). Ceci dit, il y a effectivement des « poches » des succès, mais sur la masse,ça reste très limité.

  7. Anonyme,

    je comprends votre point 1, mais je veux souligner le RSS comme une syndication « bottom-up », décentralisé et anarchique. Le « public » avait la possibilité de s’épargner un intermédiaire en créant des OPML, mais il faut croire que c’était trop compliqué encore…

    Pour votre point 2, je suis partisan aussi d’un écosystème de l’information où les réseaux sociaux sont complémentaires avec les médias traditionnels (j’ai écrit beaucoup là-dessus, voir mon dernier billet 140 petites frappes dans le temple des médias).

    Mais, comme vous, je crois qu’il faut rester prudent et éviter de s’enfermer dans son réseau et devenir imperméable aux bruits extérieurs. Mais j’ai l’intuition que, bien construit, son réseau social peut apporter du « bruit » opportun. Je ne crois pas qu’il y aura une communitarisation de la toile, mais plutôt une plus grande interpénétration des microcultures…

    Il faut comprendre aussi le propos dans mon billet comme une continuité, depuis plusieurs années, à « habiliter » les réseaux sociaux comme véritable outil de communication sociale. D’où peut-être l’impression de ne pousser que dans une seule direction.

    Pour vous rassurer, j’ai encore la radio et les journaux pour me tenir au courant des « affaires du monde » et je garde mes réseaux sociaux pour approfondir mes sujets de prédilections délaissés par les médias traditionnels 😉

    Merci pour le commentaire et dommage que votre nom soit anonyme…

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