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Culture en péril – les mystérieux commentaires manquants

Trois quarts de million, tel est le nombre de visionnements du vidéo viral Culture en péril dont je suis à la trace depuis 1 semaine. Mais pourquoi les commentaires n’ont pas suivi la même courbe? Étrange…

En cumulant tous les vidéos sur Youtube (et seulement sur cette plateforme), c’est plus de 750 000 téléchargements qu’il y a eu en 7 jours. Vous trouverez les chiffres ici.

Statistiques
Yves Williams m’a transmis les graphiques suivants Merci! Yves suit aussi ce dossier et tout ce qui a rapport au viral internet durant les élections du gouvernement central.

Cumul de tous les visionnements (première semaine)
Culture en péril -cumul 1 semaine
On remarque que le viral commence à ralentir dans sa croissance effrénée depuis quelques jours

Évolution des visionnements par jour (première semaine)
Culture en péril -Evolution 1 semaine
On remarque que le gros des visiteurs l’a téléchargé le vendredi avec un petit regain mercredi. Dans les deux cas, ça correspond à une exposition à l’avant-plan dans les médias traditionnels.

Évolutions de commentaires par jours (première semaine)
Culture en péril -Evolution commentaires 1 semaine
On remarque que les commentaires ne suivent pas les rebonds de visionnements

Et alors?
C’est en comparant les deux graphiques que l’on est saisi par la question: pourquoi effectivement les commentaires ne suivent-ils pas la même courbe que les visionnements?

On pourrait s’attendre à ce que le taux de gens qui « commentent » une vidéo reste égal (disons 1%) qu’importe le moment où il le visionne (au début ou à la fin de la courbe), selon l’hypothèse que la réception du vidéo est indépendante de la volonté de commenter ou non. Dans ce cas, on devrait trouver que les deux courbes se calquent.

Viral en péril
Mais ce n’est pas le cas, et je ne vois que ces trois possibilités:

Hypothèse 1: les visionnements tardifs sont le fait de personnes qui ont déjà vu la vidéo. Ce sont donc des (re)visonnement qui ne comptent pas dans la courbe de visionnement. On pourrait en conclure que c’est un écho et que les personnes qui avaient à commenter l’ont déjà fait. De plus, la hausse de mercredi peut être le fait du lancement de la version longue.

Hypothèse 2: les tardifs sont moins enclins à commenter. Donc le taux serait variable dans le temps. Les plus rapides seraient plus bavards. Il y aurait corrélation entre commentateurs et relais du viral. On peut penser que les plus rapides sont plus habiles dans la communication internet que les tardifs qui sont peut-être plus « consommateurs » que « commentateurs ». De plus, il y a toujours une prime à l’ego à écrire parmi les premiers. Les tardifs se disent peut-être bof, tout a été dit…

Hypothèse 3: une horde de veilleurs commentent les vidéos dans l’espoir d’orienter les réflexions. Ce que l’on pourrait appeler l’astroturfing. L’astroturfing cherche délibérément à forger l’impression qu’il s’agit d’un mouvement populaire spontané. À l’affût de ce qui se dit dans les médias et le web, ils se rendent sur les « lieux » pour « partager » leur voix.

In coda venenum
Cette dernière hypothèse est délicate et sensible. Cherchons à nuancer. Une stratégie d’astroturfing est plus vicieuse qu’un viral en bonne et due forme. On prête moins attention à un message « officiel » et « signé »(surtout provenant du parti adverse) et plus de valeur à l’écho populaire, « source de sagesse du sens commun » et « anonyme » et « sans parti pris »

D’où le fait qu’une stratégie d’astrotufing peut influencer davantage de gens.

Premièrement, cette hypothèse demande que l’équipe d’astroturfeurs d’un ou des parti(s), ou plutôt le cluster d’astroturfeurs, soit assez gros et très agile dans ses communications pour agir rapidement. On pourrait penser que le nombre, ici, est trop élevé pour être crédible. Peut-être.

Mais justement, si on imagine ce cluster composé de sympathisants en ligne, ce nombre peut rapidement devenir élevé. Ce cluster n’a pas à être engagé ou requit de passer un message en particulier: un cluster composé d’électrons libres partageant sensiblement la même idéologie peut rester en essaim et provoquer beaucoup plus de dégâts que si chacun était isolé.

Cela demande un minimum de logistique et pratiquement rien de plus qu’une adhérence des membres à se suivre, comme une nième plaie d’Égypte.

Quel serait l’avantage de l’astroturfing?
Outre l’absence de trace de collusion (les communications sont libres entre les membres d’un parti — il ne s’agit que de le mettre en branle au début des élections), on peut y voir deux choses:

A) Communiquer tôt dans un événement viral permet peut-être d’influencer les « précoces » dans leurs interprétations de la vidéo ou du message. Ces « précoces » sont des plus grands influenceurs car étant au début d’une pyramide de communication dans leur réseau social ils peuvent transmettre à un plus grand nombre leur message.

B) Mais aussi, communiquer tôt permet quelque chose de plus: éviter la polarisation du débat dans un sens ou dans l’autre: il vous est sûrement arrivé d’être dans un forum comme un chien dans un jeu de quilles où vos commentaires sont totalement à l’encontre des idées diffusées. Ici, en permettant un certain équilibrage des voix, ils autorisent « les gens ordinaires » à donner leur voix aussi, sans sentir a priori à côté de la plaque : d’autres partagent leurs opinions.

Dans ces deuxième cas, l’astroturfing permet un certain retour du grassroot en empêchant le débat de s’enliser dès le départ et permet de confronter les opinions.

La quadrature du viral
L’hypothèse de l’astroturfing n’est pas à être rejetée. Mais elle serait dure à démontrer (Gilles Dauphin a montré que les commentaires se répartissaient relativement également des deux côté –avec une nette animosité du côté des pro-coupure dans la culture).

La solution réside à vérifier l’origine de chaque commentaire et savoir si les personnes qui parlent le font en leur nom et si leur présence sur le web est ad hoc (astroturfing) ou établie depuis un certain temps (grassroot).

Pour ça je passe la main à d’autres…

MàJ : Michel Dumais m’a transmis cette belle pensée/ulr: « Derrière la techno, cherchez l’humain!  » 😉

MàJ: autres de mes billets sur le sujet
Analyse du phénomène
Billet original

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

11 thoughts on “Culture en péril – les mystérieux commentaires manquants

  1. Mais c’est du Sherlock Holmes 2.0! Très intéressant comme débat et j’aborde pour l’hypothèse de l’astrosurfing et j’ajouterais celle de la « plèbe surfing » dans le genre par exemple des jeunes qui ne sont pas politisés et qui se marre simplement du viral comique. Il y a aussi les visiteurs externes (d’autres pays et même d’autres langues) qui viennent à cause de la visibilité dans YouTube et qui se foute du débat. Puis enfin, dans les premiers jours, je me souviens d’avoir vu des commentaires se plaignant d’avoir été censurés dans leur commentaires précédents….

  2. Moi je pense que c’est l’hypothèse 2 qui prédomine. C’est toujours ceux qui te lisent de façon assidue qui commentent sur un blogue, et la majorité des commentaires sont toujours dans les jours suivant la publication. Je le constate à chaque fois que je publie qque chose. (enfin.. que je publiais! 😉 )

    Les gens « impliqués », qui commentent, sont souvent les premiers informés. Such are things je pense.

  3. Brem, dans des communautés existantes, comme la blogosphère offre, je suis d’accord.

    Mais franchement, je ne crois pas que c’est le même monde qui commente…une vidéo?

    Je n’ai jamais commenté une vidéo sur Youtube et je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui le fait.

    Mon intuition me dit que c’est dans la même famille que ceux qui participent aux courriers des lecteurs des journaux, qui commentent sur des blogues de journalistes super-connus ou qui téléphonent aux tribunes radiophoniques.

    Une vidéo virale n’a pas d’audience comme pour un carnet, mais des paires d’yeux qui la voient pour la première fois. À chaque fois.

    Étrange que l’envie de commenter ne soit pas distribuée également.

    Peut-être que les plus tardifs sont moins impliqués et donc moins émotifs.

    Peut-être, effectivement il y a un effet de « mode » et que commenter quelques jours après –comme pour nos blogues– ça semble moins attrayant…

    Mais ça n’exclut pas qu’il y ait un mixe des deux hypothèses, aussi…

  4. Salut Martin,
    Il me semble que les visiteurs de la première et de la deuxième vague sont de nature totalement différente: les premiers ont découvert le spot par le bouche à oreille, l’effet viral a fonctionné, et ceux là sont des habitués du web, souvent plus jeunes, et ils ont laissé des commentaires car c’est leur manière de surfer.
    La deuxième vague est arrivée plus tard, (il leur a fallu attendre la rediffusion du journal télévisé), ils sont moins à l’affut de la nouveauté, moins réactifs, plus vieux aussi souvent, et n’ont pas les mêmes habitudes de consommation du web: ils ne laissent pas de commentaires.

    J’ai observé ca dans les mails que j’ai moi-même recus pour aller voir le vidéo. Le jeudi du lancement, les jeunes ne parlaient que de ca, une semaine plus tard, les plus vieux découvraient le spot… en fait ca m’a tout l’air d’être une simple question de génération… Non?
    SD

  5. Sacha, bonne hypothèse. Mais les médias en ont parlés grandement à la radio vendredi PM, à la télé, vendredi soir et dans le journal samedi. Les vieux auraient dû être au courant.

    La corrélation « être rapidement informé » et « vouloir commenter » versus « être informer le dernier » et « ne pas avoir de commentaire à écrire » pourrait être une hypothèse à considérer.

  6. Paul, mon blogue ne parle ni d’économie ni d’écologie. Tu ne vas quand même pas me reprocher de ne pas être une journal complet en tout genre tout de même.

    Tu ne sais même pas sur quels projets je travaille. Je ne me résume pas à ce que j’écris.

  7. Jean-Michel, merci pour nous avoir rapporté cette métaphore. Elle est effectivement très pertinente ici.

    Il faudrait faire une analyse plus poussé pour voir si les traces laissées par les précoces et les tardifs différèrent suffisamment pour correspondre à cette métaphore (qui est effectivement plus productive que celle des ‘digitals natives’ et ‘digitals émigrants’).

    Dans le cas précis de cette vidéo, poussée par les médias dès le premier jour, je ne m’explique pas par contre pourquoi ces ‘visiteurs’ seraient nécessairement les tardifs. Il doit en avoir parmi les précoces, non?

    À moins, par l’inverse, que l’on dise que les ‘résidents’ soient toujours des précoces et donc le pool a été épuisé dès le début.

  8. Bonjour Martin,

    Je crois que la thèse de l’astrosurfing est plausible. Samedi dernier, deux ou trois jours après la parution du clip, j’ai remarqué qu’il n’y avait que des commentaires négatifs sur Youtube… les commentaires étaient souvent signés par « des pères de famille »… J’ai trouvé cela tellement exaspérant que j’ai décidé d’écrire un commentaire pour la première fois de ma vie sur Youtube… Je n’ai pas pensé que cela pouvait être organisé sur le coup, mais à bien y penser, c’est fort possible…

    Alain

  9. Jean-Michel: merci pour ce lien au sujet des «visiteurs» et «résidents». Cette distinction peut être bien plus utile que celle qui veut que certains sont «autochtones» et d’autres «immigrants». Surtout qu’il n’y a aucune présupposition sur le lien entre âge et comportement.

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