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Les réseaux sociaux comme extension de la culture de masse

Où je tire un peu les oreilles de Radio-Canada et explique pourquoi les réseaux sociaux poursuivent une lointaine guerre entre culture d’élite et culture populaire.

Image extrait de: Damian @ Gasoline GalleryJe suis toujours perplexe face à une certaine forme de rigidité que j’observe sur le site web de la Société Radio-Canada.

Pourtant innovatrice à plusieurs points de vue, expérimentatrice et pionnière sur les nouveaux médias, les traces de ce qui se nomme désormais web 2.0 se font encore attendre dans le secteur des nouvelles.

Aussi galvaudé que puisse être le terme web 2.0, il recoupe une notion qui ne semble pas plaire apparemment à la société d’État : la participation. Je précise, la « participation » dans la présentation du contenu.

Je ne saisit pas pourquoi, en 2008, il n’est toujours pas possible d’y trouver une section qui me permette de savoir les articles les plus consultés, les plus envoyés, les plus recherchés ou blogué sur le site.

Suivez le guide
Voilà belle lurette que le New York Times propose une section « most popular » à l’accueil où il est possible de savoir ce que les lecteurs se sont le plus envoyé par courriels, ou ce que les blogueurs ont le plus lié, ou ce que les internautes ont le plus recherché sur le site.

Il y a comme une culture de la « programmation » chez Radio-Canada qui les empêchent de laisser une « autre » façon de présenter les nouvelles.

Un onglet 2.0
Qu’est ce que ça coûte d’avoir un onglet secondaire qui me permet de connaître instantanément les nouvelles les plus consultées dans les dernières heures au lieu de passer par la mise en page arbitraire et totalitaire du chef de pupitre?

Il fait sûrement un bon travail, mais il ne peut pas remplacer l’efficience de toute une armée d’internautes. Pour un radiodiffuseur public national au service de la population, on peut se poser la question.

Bien sûr d’autres radiodiffuseurs ont le même travers, mais ils n’opèrent pas à même mes impôts.

Et surtout, surtout, si je choisis src.ca comme source d’information privilégiée, je suis de facto dans une communauté d’intérêts, celle qui estime cette grande institution culturelle. Et j’aimerais bien connaître le goût de mes conavigateurs. Après tout, nous estimons les mêmes choses. J’estime aussi par la bande leurs choix collectifs.

Les abonnés de leurs abonnés sont mes abonnés
Que Radio-Canada me donne accès à ces préférences ne serait que dans la suite des choses, que ça s’appelle web 2.0 ou non, la participation, même passive, comme les statistiques de consultation, me sont tout aussi précieuse, sinon plus, que ce que pense le chef de pupitre à un moment donné.

Cette gêne apparente (techniquement, ce n’est pas un problème, elle est d’ordre politique) cache peut-être chez Radio-Canada, au choix, un vertige, une incompréhension, un mépris ou une vision élitiste.

Je dis élitiste parce que probablement, si c’est le cas (et même si ce ne l’est pas, vous avez sûrement rencontré ce type de réflexion à propos de la « participation du public »), la « sagesse des foules » ne donne que de la culture populaire et la culture populaire ce n’est jamais bon.

Barbares aux portes de (Bernard) Derome
Comprenez-moi bien, ce type de réaction est normal: si on paye cher des experts pour « programmer » ce que le peuple veut, pourquoi demain des amateurs peuvent-ils venir dire ce qui est bon? Sinon à quoi servent les professionnels?

Ne me dites pas que cette idée ne vous a jamais effleuré l’esprit lors de la montée du web 2.0: tous ces amateurs incultes qui influencent par la base une structure alors que les institutions ont mis longtemps à former des spécialistes pour faire le travail.

Pensons aux médias citoyens (des va-nu-pieds qui prétendent être des journalistes) comme Agoravox, ou à Wikipédia (des barbares qui dictent l’encyclopédie du savoir).

Saint-Wikipédia, priez pour eux
Je me rappelle d’ailleurs la première fois que j’ai dû expliquer Wikipédia à une grande institution culturelle au pays en 2005: dès que j’ai mentionné que « tous pouvaient modifier l’encyclopédie », on m’a répondu, d’un geste brusque comme si on cherchait à chasser un moustique: « Ah! ce n’est pas crédible! » Et la conversation était terminée.

Je crois que ce type de réaction, normale au début, je le répète, est basé sur une méconnaissance de la culture populaire.

On sourit à l’idée que la télévision avait été auparavant le parangon de la culture populaire, bas de gamme, face aux autres « vraies » expressions culturelles (opéra, ballet, etc.).

Aujourd’hui, c’est elle qui cherche à se distinguer de la « culture populaire ».

Guerre de cultures
Il faut comprendre ici que la consommation culturelle de l’élite, de tout temps, est un comportement de groupe restreint (dès qu’elle s’étend, elle devient « populaire » par définition) qui a l’avantage de resserrer les liens proches dans un réseau social. La valeur des conversations sur le thème culturel ne s’étend guère au-delà du cercle rapproché. Je ne crois pas que vous tiendrez une conversation très longtemps avec votre entourage à propos d’un Opéra de Verdi.

À l’inverse, la culture populaire a le pouvoir de transcender son réseau social rapproché et de connecter ce qui est appelé les liaisons faibles (weak-tie), ces connecteurs aux limites de notre réseau social qui donne accès à d’autres réseaux sociaux. Le sport est l’exemple parfait : vous pourrez surfer à travers tout le pays sans jamais manquer de conversation.

Il est tout à fait normal que la montée des réseaux sociaux dans le web 2.0 soit un engouement populaire, du bas vers le haut, puisqu’il est le fait d’individu issu de la culture populaire.

Les réseaux sociaux sont des cultures de masse
Autrement dit, la culture populaire permet l’extension du réseau à travers les maillons fiables, une croissance exponentielle que l’on aperçoit dans FaceBook, MySpace et SkyRock. La culture de l’élite renforce, elle, surtout, les liens existants.

La culture populaire joue sur le rapprochement des réseaux: la conversation se nourri de sujet qui traverse les réseaux sociaux. FaceBook n’est d’ailleurs qu’un jeu. Ni plus ni moins.

Un jeu de société
Le spectacle du monde est un spectacle sans fin, divertissant et instructif. On peut le faire à la table d’un café, en regardant la télévision, en lisant les journaux ou en voyageant. Et aujourd’hui en « réseautant ».

Ce spectacle est un jeu : on décide quelle partie regarder, combien de temps on l’écoute et avec quel degré d’implication on s’investit. On distingue à ce jeu une portion « noble » et une portion « populaire »: le spectacle du monde « sérieux » et un spectacle du monde « léger ». La culture « sérieuse » et la culture « populaire »…

Il est normal d’avoir une crainte face à la montée de la « culture populaire ». Mais dans une société en réseau, rester enfermer dans son petit cercle ne semble pas être la voie de l’avenir. C’est un jeu.

Alors j’aimerais bien que Radio-Canada me laisse jouer avec mes petits copains.

Image : Damian

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

4 thoughts on “Les réseaux sociaux comme extension de la culture de masse

  1. Je partage tout à fait le propos, bien que ne résidant pas au Canada! Nous venons de produire pour la Radio Suisse Romande le site wikiforum.ch et malgré une vocation web 2.0., les questions sont nombreuses. Anonymat ou pas?, modération des contributions?, confiance donnée au contribution? Toutes ces interrogations nous bousculent car nous sommes conditionnés par notre background (l’information classique). Mais si nous ne prenons pas le train en marche, nos sites se videront de leur public, et donc de leur contenu!…

  2. ‘Culture’ ou ‘savoir’ de masse ?

    Ça m’amuse généralement de voir ce qui le plus regardé comme actualité. Pour le cinéma, le goût de la masse qui s’exprime est assez décevant quand je regarde le « most popular » sur IMdb ou ailleurs. Heureusement qu’il y autre chose que ces blockbusters sinon je devrais me passer des films pour lire uniquement.
    Tout est relatif et ce qui parait élitiste pour certains parait encore basique pour d’autres.

    Pour wikipedia, il faut rester vigilant et critique. C’est pratique mais il peut y avoir de la propagande et désinformation.

    Il faut éviter que l’opinion de masse fabrique un pseudo-savoir.
    Les spécialistes pour autant qu’ils soient vraiment compétents sont indispensables.

    « L’autorité d’un seul homme compétent, qui donne de bonnes raisons et des preuves certaines, vaut mieux que le consentement unanime de ceux qui n’y comprennent rien. »
    Galilée
    😉

    Ce qui me gène chez RC, c’est l’installation d’un plugin Microsoft pour visualiser leur video. Heureusement que leur site supporte mieux Firefox que mon navigateur Opéra.

  3. Martin,

    Sache que nous sommes très sensibles à cette réalité inéluctable que sont les réseaux sociaux en 2008, et nous sommes conscients de l’immense potentiel des outils de réseautage. Et, bien que nous soyons quelque peu en retard dans cette course à l’innovation, nous travaillons actuellement d’arrache-pied pour rattraper le temps perdu et pour reprendre notre place en tant que chef de file dans l’espace numérique francophone.

    D’ici septembre, nous vous réservons plusieurs nouveautés.

    – Signé, un radiocanadien et ex-copain de classe de surcroît. 😉

  4. Flawless Knockoff, te savoir aux commandes me donne que de l’espoir! Je te connais assez pour savoir que ça va aller dans le bon sens -si on te laisse les coudées franches!

    Je sais que demander est facile et appliquer est plus long. C’est vrai que c’est une course. La flexibilité paye! Bonne chance

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