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Expression et transformation de la connaissance

J’exprimais à la fin de mon billet précédent que la nature même du développement d’une connaissance passe par un processus d’expression et de transformation.

Prenons le temps de préciser. Mais cette fois-ci avec l’optique d’expliquer en quoi le carnet (le blog) y est concerné.

(Je m’inscris comme annexe à une excellente conversation sur la négociation de sens poursuivit entre Mario et Stéphane. On y abordait le fait que le carnet ne permet pas spécifiquement la négociation de sens ni la coconstruction de sens. Négociation s’entend comme tractations discursives entre intervenants sur le sens à donner à un concept en émergence. Coconstruction serait la participation entre ces intervenants pour faire émerger le sens.)

J’avais précédemment abordé cette question pour les wikis. Je concluais que la conversation carnetière, n’est pas qu’un transfert d’un message, il est le lieu d’une fabrication cognitive du sens. Il est temps de m’expliquer.

Le processus rédactionnel contribue au développement de la compréhension.

Le carnet, donc, dans ce cadre représente un excellent outil. Mais le carnet favorise deux approches différentes chez les individus : le processus d’expression des connaissance et le processus de transformation des connaissances.

Le processus d’expression des connaissances.

Ce processus produit un contenu à partir de source externes (d’autres blogs) ou de thèmes personnels. Ce traitement s’apparente à coucher sur le papier (ou sur l’écran) ce que l’on sait. C’est la note. La plupart des billets dans la blogosphère ne sont que des transmissions de connaissances. Outre l’apparence d’accumulation d’information, elle exprime un état plus qu’une construction de la connaissance. Ces textes semblent réfléter l’ordre dans laquel on pense les choses, sans planification préalable.

On écrit alors ce qui est le plus facile à exprimer: c’est un moyen le plus efficace de rédiger un blog. Rappellons que les principaux impératifs perçus du carnet sont l’urgence et la fréquence. Si les connaissances d’un individu sur le sujet sont cohérentes et organisées le carnet en général est considéré de bonne qualité. Mais on ne peut proprement parler d’amélioration de la Connaissance (C majuscule), mais on serait en droit de dire qu’il développe la connaissance (petit c) d’un individu (du moins dans le sens d’une mise à jour des informations).

Le processus de transformation de la connaissance.

C’est un processus de découverte où le chaos recule et la compréhension augmente : construire un argument c’est diriger sa pensée de façon interactive entre les problématiques rhétoriques (comment le dire) et ceux de la connaissance (de quoi on parle). On améliore ainsi à la fois l’expertise rédactionnelle et la compréhension du thème à taiter.

1. Écrire pour défendre une position, si elle entraîne une recherche pour étayer les faits, permet de découvrir la pertinence de ces derniers ou réaliser que nos croyances son injustifiées.

2. Résumer un texte amène l’auteur à une analyse plus critique des connaissances en cause.

3. Construire son texte entraîne la découverte de relations entre sous-thèmes jusqu’à lors insoupçonnées.

4. Le besoin de rendre le texte intéressant pour les lecteurs entraîne un questionnement qui n’existe pas dans un écriture diariste.

5. Le choix même des mots incite à un approfondissement des concepts abordés dans le texte.

(Inspiré de Literate expertise De Scardamalia & Berieter 1991, in Piolat, A. & Pélissier, A. (1998). La rédaction de textes : approche cognitive. Paris : Delachaux et Niestlé.)

L’effort directement impliqué dans la rédaction est proportionnel au développement de notre propre connaissance. Une expertise se forme, ce que n’offre pas la simple transmission.

L’apport des carnets à la construction de sens.

Le carnet est l’outil idéal pour ces deux processus car il place l’individu au centre du processus d’apprentissage. Nul ne serait étonné de comprendre pourquoi les carnets de transformation de la connaissance soient moins répandu. L’effort cognitif demandé exige un espace horaire suffisant et une disponibilité mentale étendue pour mener le processus à terme. La fréquence de publication s’en trouve affectée.

(Les lecteurs qui se sont rendus jusqu’à ce paragraphe seront heureux d’apprendre que vous devez ce billet à mon petit Arnaud qui m’a réveillé à 3 heures du matin – je vous expliquerai comment je procède personnellement à la rédaction une autre fois, maintenant que vous savez comment elle s’enclenche.)

Mais, étonnamment, cette transformation des connaissance n’apporte pas seulement des avantages individuels mais aussi collectives : par son engagement à vouloir rendre compréhensible son texte, l’auteur participe à la construction du sens collectif. Il poursuit le but de démontrer que son point de vue apporte une amélioration à une question donnée.

Le carnet n’est certes pas un outil formel de coconstruction de sens, mais épistémologiquement parlant, elle produit le même effet.

Dans ce sens, écrire modifie ma pensée, améliore celle des autres et augmente la connaissance générale. La charte du KM (voir mon billet à ce propos de cet extreme KM) m’inspire de la crainte car ce processus de transformation de la connaissance m’appartient en propre. Elle s’opère sans que je le sache, même si l’effort est bien réel. Il n’existe plus d’espace privée si le processus cognitive lui-même fait partie de la clause du contrat de l’employé : Sartres disait à la fin de sa vie, lorsque sa vue baissait, que ne pas pouvoir écrire c’est ne pas pouvoir penser. À moins d’inclure dans la charte l’égalité des droits entre le knowledge worker et la société quant à l’usufruit de la connaissance tacite résultante.

AJOUT à 22h00:
Cette « topologie » des billets de weblog a laissé dans l’ombre le biais que crée l’outil. Par sa simplicité de publication, le blog favorise les textes improvisés de transmission de connaissance. Par sa structure en mode chronologique décroissant, il favorise la nouveauté au détriment d’une lente réflexion ou de récurrentes révisions (dans la rédaction de texte et dans le choix des hyperliens). Ce biais favorise nécessairement certaines disciplines qui subissent des changements considérables (SEO, folksonomy, social sofware) mais pose des difficultés pour l’étude en sciences humaines, en pédagogie et en science sociale. Ce qui explique l’impression d’évanessance des gens de ces disciplines, que la nature de l’interaction accentue comme le souligne Stéphane.

On lira avec profit: RÉDACTION DE TEXTES. ÉLÉMENTS DE PSYCHOLOGIE COGNITIVE de Annie PIOLAT & Jean-Yves ROUSSEY

On parcourra avec intérêt le résultat dans Google Scholar de : redaction textes approche cognitive

Billet original sur http://zeroseconde.com

ZEROSECONDE.COM (cc) 2004-2012 Martin Lessard

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Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

4 thoughts on “Expression et transformation de la connaissance

  1. Je trouve très intéressante ta réflexion sur l’écriture carnetière. J’aime bien la distinction que tu fais entre « le processus d’expression des connaissances » et « le processus de transformation de la connaissance ». Mais à la condition qu’ils soient enchevêtrés. L’expression écrite et réflexive, qui caractérise les blogs, entraîne inévitablement la transformation (je préfère « construction ») de la connaissance, car elle repose sur un processus bidirectionnel d’analyse-synthèse. Or, qui dit synthèse dit création ; d’où l’apport constructif.

    Par ailleurs, je suis toujours surpris de voir à quel point on néglige la dimension affective dans ce genre d’analyse sur les blogs. La satisfaction que l’on éprouve à publier un billet constitue un élément motivationnel puissant. Qui peut nier le bonheur, fut-il passager, que l’on éprouve à diffuser sa pensée, sachant qu’elle titillera quelques esprits.

    Si les affects sont un moteur pour l’écriture, ils jouent aussi un rôle dans la construction de sens. Ils sont déterminants dans la valeur relative que l’on accorde aux concepts.

  2. Je suis d’accord avec toi, François, pour ce qui est de l’enchevêtrement. La frontière sinueuse se laisse difficilement découvrir, quoi que les pôles m’apparaissent clairs.

    Je maintient tout de même le mot ‘transformation’ de la connaissance, même si « construction’ de la connaissance peut paraître approprié. Par une opposition entre les préfixes trans- et con-, j’y vois un processus personnel de pétrissage du savoir pour le premier, et un processuss interpersonnel d’échafaudage du savoir pour le second.

    Je cherche à souligner par ce mot le processus interne en premier lieu: le savoir chaotique prend forme lors de la production du texte. Ensuite, elle peut servir de construction entre les individus à partir de cette forme.

    Jeu de mot sémantique, peut-être, car il est vrai qu’à partir d’un certain recul, le mot ‘construction’ devient plus pertient.

  3. « les affects sont un moteur pour l’écriture ».

    C’est intéressant comme idée. En même temps que paradoxale. Je perçois l’écriture comme un acte rationnel et l’affect comme émotif. L’un est individuel, l’autre est grégaire. La médiation de l’un à l’autre m’a toujours semblé suspect (dans le sens que l’affect s’exprime de façon performante ‘en personne’ et non par transposition).

    J’ai sûrement tort de ne cantonner à ce raisonnement…

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