Alain Giffard vient de terminer une série originale de trois billets sur les blogs:
- Le blog comme outil technique distinct
- Une enquête sur l’idée de « journal »
- La notion de communauté
La première partie examine la place de la datation et de la présentation chronologique inversée.
Ensuite, autour de la notion de journal, il cherche à comprendre se qui se joue derrière le « contenu » des blogs, ces « journaux en ligne ».
Dans la troisième partie, il aborde la question du collectif, de la communauté des blogueurs. Notamment celle de Skyblog.
Les billets d’Alain méritent le détour parce qu’ils mettent en évidence que la blogosphère possèdent un rythme (cardiaque?) qui constituent à la garder en vie. Expliquons.
Ordre chronologique inversé
Selon Alain cette particularité des blogs n’est pas un banal détail technique.
D’après cette convention, l’ordre d’écriture, celui de publication, et l’ordre de lecture sont les mêmes. Il s’agit bien d’une convention, pas d’une norme technique : l’auteur, l’éditeur, le lecteur font « comme si » le dernier mot lu était le dernier écrit, ou publié. (Source)
Jusqu’à la lecture de son billet, j’ai souvent pensé la particularité de l’ordre chronologique inversée comme une métaphore du fil de presse. Mais au fond, je crois qu’il faut le voir comme une pagination horodatée. Quand je rempli mon carnet (papier), chaque page indique ma progression. La date est accessoire. Quand je rempli mon carnet (web), c’est le temps qui indique ma progression. La date joue un rôle de classement.
Or pourtant rien n’empêche d’écrire sur le web sans date. Par exemple en utilisant un wiki. Mes idées seraient tout aussi bien servies. La date sur le blog n’est donc pas anodine.
Synchronisation
Pour le blog, la datation joue un rôle catalyseur.
« Pour les médias qu’on peut qualifier d’ « asymétriques », où il n’y a pas simultanéité ou « co-temporalité » de l’émission et de la réception, et/ou pour les médias périodiques, que la périodicité soit physique/externe (presse) ou artificielle/interne (télé, radio), la date de publication joue un rôle important de programmation : c’est elle qui assure qu’une partie de l’audience sera au rendez-vous.
(…)
La datation et l’ordre chronologique inversé ne produisent pas seulement le « rendez vous » nécessaire pour rapprocher le blogueur et ses lecteurs.
Plus généralement ils créent une co-temporalité rhétorique, une impression de faire la « même chose en même temps », finalement, un « cadre de vie » commun aux blogueurs.
(Source)
La date ne sert pas seulement à dater un écrit. Ce qu’Alain dit, c’est qu’elle sert à créer une simultanéité aussi entre les blogs, dans la blogosphère. « Ce n’est rien d’autre, mais dans le cadre du « self-média », de l’expression individuelle, que l’équivalent de la grille des programmes, un autre exemple de cette tendance à la synchronisation des activités et des esprits, caractéristique des mass médias. » La date sert à créer et à rythmer la blogosphère.
La blogosphère rythmée
La fonctionnalité de la date dans un outil blog transcende sa simple fonction. Il donne vie à ce qui ne serait que des pages webs, de l’information. En ce sens Technorati, bloglines et les agrégateurs de blogues en ligne sont des organes vitaux pour faire vivre ce média.
La temporalité de la blogosphère est déterminante, à mon avis. C’est ce qui la distingue de la sphère intellectuelle universitaire notamment (qui est rythmée par les idées) – les wikis comme craowiki sont, dans ce cas, plus proche de ce lieu de communication sans date, axé sur les idées, que les blogues en général.
La marche du temps correspond plus à une expérience ressentie qu’intellectuelle. La chronologie constitue la façon profane la plus répandue de classement des expériences. L’espace rationnel la considère comme un attribut parmi d’autres.
La blogosphère tendrait donc à être moins rationnelle, plus marquée par le relationnel. D’ailleurs, le côté diariste est, qu’on le veuille ou non, l’utilisation majoritaire des blogs. Mais le fait que le taux d’abandon des blogues soit plus élevé pour ce type d’utilisation indique que le blogue, pour l’aspect relationnel (de type émotionnel/intimiste) n’est peut-être pas l’outil le plus approprié (le Instant Messaging ou les forums constituent une alternative peut être plus adéquat pour l’aspect relationnel).
L’un n’empêche pas l’autre. Mais on ne peut évacuer le relationnel qu’induit le blogue.
Une carte du territoire
Une géographie de la blogosphère semble démontrer que ces deux types (blog intimiste et blog d’idées) sont cloisonnés. Alain donne l’exemple des deux millions de blogs de Skyblog. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais rencontré un seul de ces blogues en déambulant d’un billet à l’autre, ou en utilisant un moteur de recherche. Je dois taper directement l’adresse de skyblog pour les lire.
Je m’avancerais à illustrer la blogosphère comme un immense territoire rythmé par le temps qui passe, constitué d’un vaste territoire, d’un hinterland, où l’immense majorité des blogs vivent en petites tribus, peu denses, hors des grands axes communicationnelles, avec parfois des rassemblements urbains regroupant des blogs plus actifs, culturellement plus riches. La capitale de cet « état » serait les A-List Blogs, ces blogs-médias, les slashdot de ce monde et autre boing-boing, qui constituent à élever le skyline du centre-ville à des sommets impressionnants.
Mais tous nous vivons sur le même fuseau horaire…
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