Je vous en livre un extrait, parce que c’est à petite dose qu’il faut savourer les grandes idées.
«Sois parfait! (haweî shelîm, Génèse 17,1 והוי שלים dans l’araméen original) telles furent les paroles de Dieu invitant l’homme à devenir surhomme, qui, depuis une tradition orale née en Mésopotamie, le berceau de la civilisation humaine, environ en 6000 avant notre ère, fondèrent l’occident sémite. Faisant du personnage de Yaveh le fondateur d’un humanisme qui est pratiquement resté inchangé depuis. Ce sois parfait semble d’ailleurs être de loin la parole la plus étymologiquement importante de toute notre histoire, car de shelîm, le mot araméen pour entier/entièreté, parfait/perfection, paix/paisible, intègre/intégrité, complet/complétude, par lequel nous sont parvenus les mots shalom, salem, Jerusalem (ville parfaite), saalam, Islam (exercice de la perfection) muslim (pratiquant de la perfection), et aussi le latin salus, le français salut, et par une savante alchimie mélangeant les langues dérivées du nostratique que j’ai confirmé auprès du célèbre protolinguiste George Starostin, il est maintenant apparent que nous devions à shelîm (ou à tout le moins à ses racines antérieures) le grec helos, et les salutations hello, allo, etc. Force est de constater qu’à même l’ADN occidental, à travers chaque salutation, chaque poignée de main, se reconduit cette invitation au dépassement de soi.»
Extraits de La Maison Laide, Vincent Olivier
C’est sûr qu’après #tlmep ou #oc8, ça peut faire mal à la tête. Mais c’est bon pour l’esprit. L’extrait ne fait que mettre l’eau à la bouche et le reste est encore plus dense. Ce qui me confirme que c’est par à-coup qu’il faut y revenir, le temps de digérer.
Comme j’ai toujours de la misère à retrouver les sources de mes lectures, Zéro Seconde est un endroit finalement pratique pour m’y retrouver et bâtir un corpus intéressant des idées qui viennent. Je me permets donc de citer cet extrait pour mémoire. Et ce travail me permet d’intégrer ses concepts.
Les opérateurs du prochain Grand Jeu
La question profonde qui traverse son texte rejoint celle du sens à donner à la « révolution » en cours, celle d’internet qui prend d’assaut toutes les sphères et reconduit en fait un sempiternel combat entre une élite oppressive (mais changeante, dans le sang parfois) dominant les masses (toujours aussi soumises) alors que se met en place, en fait, une mutation par une autre élite (les Programmeurs) qui proposera un nouvel environnement (et on ne parle pas ici d’une mise à jour de Facebook) qui devrait déloger définitivement les humains de leur anthropocentrisme.
Les multiples questions qu’il se pose ne peuvent pas être répondues tout de suite — on a encore le temps et l’espace pour le faire.
Mais il est clair que le Grand Jeu qui se met en place dépasse les simples enjeux de ce qu’on nomme pour des raisons baptismales de facilité «Web 2.0», même s’ils le précèdent, le préparent et en tracent des contours. Qu’est-ce qui sortira de ces changements en cours, quel humain et quelle dignité peut-on espérer?
e-pluribus unum
Comme sa théologie spéculative est une «invitation à se libérer à se dépasser et à se réfléchir meilleur» — d’où mon besoin d’aller chercher des réponses auprès de Nietzsche– il n’y a pas nécessité de se presser à jouer le jeu du temps réel, mais, comme pour paraphraser Sloterdijk, les billets sont de petites lettres lettres adressées aux amis, une télécommunication dans le temps à des esprits qui cherchent des réponses à des questions similaires: le temps viendra à ceux qui savent attendre –tout de même une définition tautologique qui n’est pas dénuée de sens.
J’ai effectivement mes petites questions à répondre aussi. Justement celles que Vincent-Olivier m’avait adressées cet été. Une partie des réponses se trouvent dans le vidéo plus bas, mais je les laisse in extensio ci-dessous pour mémoire.
La plupart des réponses seront données au cours des prochains mois sur le fil de Zéro Seconde, pour tenter d’amorcer la nouvelle décennie avec la réflexion appropriée. On ne peut pas s’en tenir à voir l’avenir le nez collé sur sa roue de tricycle.
Réflexions
Vidéo à écouter sur l’édifice.tv. Un interview que j’ai donné cet été, et remixé par Vincent Olivier
Questions de Vincent Olivier qu’il me pose après l’interview, suscitées par les réponses données durant l’entrevue, elles-mêmes soulevées par ses questions d’intervieweur. Vous suivez toujours?
– Est-ce qu’il est possible de s’adresser à l’intelligence des gens et être populaire? Est-ce que l’incapacité à le faire signifie que la majorité des consommateurs de contenus sont stupides? Est-ce que les auteurs en sont réduits à une littérature confortable ou comique, parce que la lucidité, c’est out? On dit vouloir des intellectuels au Québec, mais est-ce vrai? Serions-nous réellement capables de leur faire une place dans la sphère médiatique? (des pistes @ 1:12)
– Qu’est-ce qu’IBM cherche à prouver avec d’abord Deep Blue et aujourd’hui, avec Watson? Comment interpréter les slogans d’IBM qui ont toujours tourné autour de l’intelligence (le THINK! original, au « bâtissons une planète plus intelligente » en ce moment)? Que se passe-t-il si l’intelligence de la presque totalité des humains est obsolète (en rappelant ici le concept du « tittytainment »)? Que reste-t-il de l’humain, sans l’avantage compétitif de l’intelligence? La fin de l’intelligence humaine est-elle la fin du propre humain, justement, l’intelligence étant ce qui nous distinguait jusqu’ici des animaux et de la technologie? Quel sera l’impact sur la culture, si nous avons majoritairement abdiqué l’intelligence? Restera-t-il même une culture? (des pistes @ 2:47)
– Est-ce que la jouissance est la finalité de l’existence et la complétude de l’humain? Que faut-il en penser, si Lacan et d’autres philosophes majeurs ont d’ailleurs spécifiquement opposé jouissance (et quête de) à intelligence (et quête d’). Sommes-nous programmés et manipulés par le bout de notre jouissance, ainsi que Crighton l’a suggéré dans L’homme terminal? N’est-ce pas là le propre du marketing? Est-ce que la jouissance est le langage de programmation de l’humain comme le pensent les informaticiens (par la ludification) et les psychanalystes (le neveu de Freud, Edward Bernays ayant inventé le marketing moderne)? (des pistes @ 4:12)
– Existe-t-il une séparation réelle entre les bergers « lettrés » (de cette nouvelle « littérature » numérique) et le bétail domestiqué (contrôlé par son rapport à la jouissance et au confort, rappelant le « du pain et des jeux » antique)? Qui sont les nouveaux bergers? Peut-on voir dans les pilules bleue (Viagra, quelqu’un!!!??!) et rouge dans la Matrice une parfaite illustration de la violence de la séparation entre la lucidité et l’enchantement domestique? Deux espèces différentes, d’un point de vue de la mémétique? (des pistes @ 6:13)
Je répondrai à certaines de ses questions. Il m’a surnommé le Marshall McLuhan québécois. On devrait être capable d’être à la hauteur.
Seulement si on est accro à ce que les médias nous ont habitué («le contenant détermine la contenu») trouve-t-on que le texte de Vincent-Olivier sur son site UP4 est dur à lire (typographiquement parlant).
Si on prend un autre angle (disons typo-poétique) on comprend alors qu’il cherche à ralentir la lecture pour supporter la densité.
Son texte _est_ dur à lire. Mais ce n’est pas à cause de la mise en page. La mise en page ne fait qu’épouser cette difficulté et même accompagne la friction pour justifier à ceux qui ne veulent pas aller plus loin, pour cause de temps insuffisant, connaissance inadéquate ou intérêt non rejoint de passer leur chemin sans autre forme de procès.
J’ai adoré son texte, mais je l’aurais encore plus adoré dans une version moins… compactée. Je comprends l’intention créative ceci dit. Mais profondeur et lisibilité ne devraient pas être antithétiques…
sur une question de fonds, je trouve les réflexions trés inspirantes. Hâte d’en discuter ensemble 😉
Sacha, j’ai comme l’impression qu’une partie du génie est justement dans le formatage (ce qui n’enlève rien à la validité de ton commentaire) mais il me semble que la pensée a tout essayé et que la « poésie graphique » n’a pas été assez explorée.
Ceci dit, je connais bien Vincent-Olivier et trouve que cette enveloppe correspond bien à son persona. Peut-être à tort, j’y vois une continuité…
Justement, le fait de le connaitre est (peut-être) un biais pour toi. Moi je ne le connais pas, et je n’aurais pas lu sans ton lien FB. J’aurais raté qqchose, c’est certain. Merci pour la découverte, ca valait la peine de s’accrocher…
Pour la petite histoire, Vincent-Olivier me dit que la typo utilisée, c’est Akzidenz-Grotesk.
Sacha,
cette approche de lier forme et contenu me semble héritée (ou avoir des liens filiaux) avec certains philosophes allemands (ou français germanophiles), de Nietzsche à Sloterdijk en passant par Heiddegger (et Lacan, Derrida, etc.) qui croisent le fond et la forme en affirmant que la poésie est l’unique façon d’approcher leur pensée.
Je n’avais pas vu encore une approche graphique comme celle de Vincent-Olivier.
Petites précisions. En plus du choix d’Akzidenz-Grotesk qui est d’ailleurs lui-même justifié par beaucoup plus que son crénage ardu à l’écran, j’ai volontairement omis la ponctuation référentielle. Par exemple les diverses mentions du « sois parfait » ne sont ni en italique, ni entre guillemets, tirets ou autre. Je voulais laisser le trouble orthographique rythmer lui-même la lecture. Mais, en rétrospective, cette manière était peut-être un peu trop cryptique. J’ai tendance à trop beurrer par-dessus le niveau de compréhension de base et ça peut ne pas être de tout les goûts (et même du mien, parfois).
Qu’est-tu veux, j’suis d’même!
Petite question pourquoi, on prend une traduction en araméen du texte biblique ?L’original dit : וֶהְיֵה תָמִים et non pas והוי שלים le mot du texte hébreu original est « tamim » et non pas « shelim »
Les deux mots existent en hébreux mais ici on a choisi « tamim » et pas « shalem » qui peut donner l’idée de perfection. Ce n’est certainement pas innocent.
« Tamim ne se traduirait-il pas mieux par « fini », « entier » « intègre » que par « parfait ». Ce serait d’ailleurs bizarre que l’on demande à un homme d’être parfait ou d’être un surhomme. Il me semble que le texte lui demande exactement le contraire, on lui demande d’être un homme pleinement, d’assumer sa nature et de ne pas la fuir.
Enfin, il faut faire attention au contexte, ce n’est pas à l’homme ou à l’humanité d’être intègre, c’est seulement à un homme Avram. Aller plus loin est hasardeux. Cela aurait été plus juste si l’ordre avait été donné à Adam.
En l’occurrence, je ne pense que ce soit ici que l’on doit extrapoler une demande biblique faite à l’Homme d’être intègre et encore moins d’être parfait.
Il y a aussi dans le texte un énervement contre les « Pharisiens » mais je ne sais pas quels textes d’auteurs pharisiens Vincent Olivier a lu pour se faire cette opinion.
Alain, je vois que tu me sembles bien calé dans le sujet. Je vais laisser Vincent Olivier expliquer son interprétation, n’étant pas expert dans le domaine de l’herméneutique du Livre, ni de la traduction araméenne.
Par contre j’émets l’hypothèse qu’il fait le même saut que moi: l’approche nietzschéenne (le « surhomme »), réactualisée par Sloterdijk (dans son Règle pour le parc humain, à propos des Bergers), insiste pour dire que « être pleinement humain », ce n’est pas être ce que les humains sont devenus. C’est être parfait en se dépassant toujours et constamment.
Nietzsche, quand il dit quelque chose comme Devient ce que tu es, à un homme, il demande le surpassement. « Entier », « intègre » veut dire « plus fort », « se dépasser ».
Slotedijk a souligné ensuite que cette volonté demandée à un homme est un appel à créer la race des Bergers. Cet « homme fort » appelé à aller au delà de ses limitations et prendre la destiné de la race humaine en main.
(Je note tout de suite pour les lecteurs de passage qu’il ne faut surtout pas interpréter hors contexte cette interprétation de Sloterdijk, car elle peut être très controversée, au risque de recréer le débat qu’il y a eu il y a 10 ans –retrouver le texte Règle pour le parc humain en ligne et les divers commentaires entourant ce sujet pour vous faire une meilleure idée).
Je ne peux pas parler pour Vincent Olivier, mais moi, comme Sloterdijk, je saute de l’exigence faite à un individu à celui demandé à toute l’humanité. Je m’arrête encore, par contre, aux portes de cette « race de berger », hésitant.
Est-ce que je trahis le contexte? Peut-être. Ta connaissance linguistique me donnerait tort. Est-ce hasardeux de le faire? Je serai d’accord pour laisser Dieu hors de cette histoire et assumer cette dérive par moi-même.
Merci pour les précisions. En reprenant ce que tu écris, je vais essayer de faire un parallèle entre le texte du Livre que je connais assez bien et la théorie de Stojerdik que j’ai survolé rapidement (je sais ce n’est pas très honnête)
Il est intéressant, que dans le texte que reprend Olivier Vincent, le verset suivant est celui du changement de nom de Avram en Avraham (« pères des peuples », traduction approximative #pasexpert) puis de son « Élection » ainsi que celle de sa descendance.
Je n’ai pas lu Stojerdik mais il est vrai qu’il peut exister une idée de dépassement dans le fait d’être pleinement humain et que dans la notion d’élection transpire même, comme une évidence, les notions de « bergers » qui prennent en charge « la destiné de l’humanité ».
Le parallèle semble donc assez évident.
Par contre dans le texte il y a une tentative d’élection et de dépassement sans entraîner ce que les hommes savent déjà faire soit :
– des surhommes
– des « sauveur du monde »
– des idéologies
– des « bergers »
Tout cela en s’adressant dans les faits à un individu unique et pas à l’humanité entière (le texte m’oblige à le lire de cette façon).
C’est un texte bizarre 😉 je ne suis donc pas sûr que ce soit le bon point de départ… Il peut-être ailleurs sans remettre en question la construction théorique à moins de vouloir la rendre absolument universelle.
Je suis tout à fait d’accord de laisser D.ieu en dehors de tout ça. Seul le sens du texte est important si on veut s’en servir comme prémisse théorique.
À la question d’un targoum plutôt que de l’hébreu « original », je réponds que:
1) Le narratif de la genèse, issu d’une tradition orale, n’a donc pas de transcription « originale », mais plutôt des transcriptions, traductions et translittérations plus ou moins anciennes ou récentes.
2) Le script araméen est antérieur à l’hébreu écrit dont il est en fait dérivé. Et par 1), on peut aisément présumer qu’il est en fait autant phonétiquement que sémantiquement plus fidèle à la tradition orale, seul « original ».
3) Le targoum, beaucoup plus qu’une simple traduction est tissée autant de l’histoire originale que de son interprétation rabbinique. Et donne donc des indices importants sur la pertinence culturelle d’un passage biblique.
4) L’écrasante omniprésence étymologique de la racine « shalim », tel que démontré dans mon texte et l’interprétation classique du « baptême » d’Abraham, pointent fortement vers « shalim » comme étant plus « original ». Même si, « tamim » suggère autant la perfection, et non pas seulement la complétude, que « shêmlim ».
Il n’y a rien d’innocent, par contre. C’est exactement le point de mon texte.
Pour ce qui est des pharisiens, j’irai facilement, même si en fait une question posée avec plus d’empathie pour moi aurait commandé une réponse plus étoffée: je m’énerve contre Harper et je n’ai lu ni son programme électoral, ni les budgets de son gouvernement. Voilà.
Pour le reste, tout ça est très intéressant. Mais j’aimerais que vous contempliez l’idée que ce que je dis ou propose dans La maison laide n’est ni aléatoire, ni gratuit, et peut-être pas si erroné que ça.
J’apporterai des précisions en temps et lieu. Vous allez devoir me faire confiance et patienter, par contre. Et à partir de maintenant, à moins qu’on m’invite pour un café ou quelque chose de sympathique, un contexte qui me donne envie de partager plus, je répondrai à travers les travaux dans lesquels je suis déjà engagé. Dans l’Édifice, notamment.
1) Le texte est là il est écrit en hébreu. C’est le matériel de base, les méandres qui ont conduit à son existence dans cet idiome sont intégrés dans le choix de cette langue et peut-être même de chacune de ses lettres.
2) Où est le texte araméen antérieur ? (ce n’est pas une question piège, je ne le connais pas)
3) Le targoum est la traduction en araméen du texte hébreu et pas l’inverse non ? Je ne sais pas s’il n’y a pas un problème de partir de suite dans de l’interprétation rabbinique même si elle est juste plutôt que de partir du texte original.
4)Je ne suis pas sûr de la traduction exacte et je ne doute pas du poids du mot « Shalem » dans la tradition juive mais je ne suis pas sûr de quelle « interprétation classique » on parle ici. Je ne sais pas pourquoi vous parlez de « baptême » aussi.
Désolé pour le manque d’empathie. C’est juste que je voulais savoir s’il y avait un point précis de contention surtout qu’il me semble que l’interprétation rabbinique du texte est pharisienne.
Je ne doute pas de la rigueur de la démarche et du travail nécessaire pour bâtir une réflexion juste.
Je suis d’accord, que cet enjeu d’interprétation plus que traduction n’est peut-être pas très important. Moi je suis partant pour un café en tout cas 😉