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Journalisation des médias

Je ne sais pas ce que mange Stéphane Baillargeon, mais depuis plusieurs semaines sa chronique médias dans le Devoir relève le débat dans la sphère médiatique à un niveau vraiment intéressant. Il prend au mot l’accroche du Devoir.com : «libre de penser»

Les défenseurs de la pensée uniqueEncore ce matin, il donne un coup de pied dans la ruche en traitant de la «journalisation» des médias comme accélérateur de conformisme. La journalisation, c’est la domination des journalistes imposant un commentaire médiatique uniforme sur toutes les plateformes.

Il en donne pour preuve le commentaire d’un auditeur lors de la dernière émission de Christiane Charette, vendredi dernier, qui ne surprendra que ceux qui n’ont jamais écouté l’émission:

«Cette dernière revue de l’actualité démontre bien pourquoi cette émission devait se terminer. […] Malgré la présence de six invités, […] tous tellement prévisibles, stériles à la limite, incapable de penser en dehors d’un certain conformisme et d’une certaine bien-pensance. Le droit à la divergence est-il toujours possible dans ce type d’émissions à Radio-Canada? Allez écouter France Inter, RTI, NPR, la BBC, même la CBC pour voir ce qu’est une radio à la pensée riche, complexe, diversifiée et souvent contradictoire.»

Le poids des maux, le choc des journalistes

Baillargeon ajoute «l’information est une chose bien trop importante pour la laisser aux seuls reporters et chroniqueurs qui exercent leur pouvoir en s’exonérant parfois bien tristement de leurs responsabilités.»

Il cite ensuite le journaliste-essayiste Jean-Claude Guillebaud que cette «omnipotence malsaine» charge le journalisme de responsabilités pour lesquelles il n’est «ni préparé ni armé».

On ne peut tomber que d’accord quand Baillargeon conclut que «[l]es médias sont censés porter la pensée critique et la diversité des points de vue sur le monde. Enfin, idéalement.»

Il entend ici les grands médias de masse. «[S]i Radio-Canada ne le fait pas, quel autre média de masse et de qualité le fera en ce pays hyperconcentré?».

Ile déserteLa lutte en périphérie

Si j’en crois ce que je commence à lire dans La lutte initiale, de Philippe Nassif, il n’y a rien à espérer du côté de la médiasphère. «Le centre de nos sociétés n’est plus constitué que par une médiasphère dont le message récurrent est la jouissance immédiate»

Comme Nassif et bien d’autres, je crois qu’il se dessine un nouveau sens commun et qu’il se développe dans l’ombre, dans des niches, et à la périphérie.

C’est hors du centre qu’on trouve maintenant les penseurs de demain.

Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

8 thoughts on “Journalisation des médias

  1. Très intéressante cette réflexion sur la « pensée unique » et le conformiste social, mais n’est-ce pas essentiel à la cohésion et au bonheur du groupe? Je crois que le conformiste crée une sécurité existentielle qui favorise le bonheur du groupe. Je pense donc, je suis. Je pense comme mon prochain, donc je suis encore plus! Rien de plus néfaste sur le bonheur que de fréquenter des gens qui ne pensent jamais comme nous. Le bonheur des uns, ne fait-il pas le malheur de autres?

  2. « le conformiste crée une sécurité existentielle qui favorise le bonheur du groupe » A Brave New World 🙂 Je ne suis pas sûr que ce soit très encourageant.

    « C’est hors du centre qu’on trouve maintenant les penseurs de demain. » J’ai même l’impression que le besoin des communautés afin de se reconstruire ne sont pas tant les penseurs mais les gens qui réalisent, qui créent hors des sentiers (non pas battus) mais sous les feux de la rampe. Et que ce soit dans le business agressif du monde de l’informatique ou bien l’humanitaire bien pensant, ils sont tout autant des objets médiatiques.

    Dans une certaine éloge de l’ombre, il est possible de réaliser des choses intéressantes que si l’on ne s’expose pas. Aucune gratification, juste du concret, du réel.

  3. Karl, je suis d’accord que la gratification n’est pas la même au centre et en périphérie. Réaliser en périphérie a nettement moins de pression mais n’est pas nécessairement plus facile. C’est probablement un motus operandi tout à fait viable…

  4. Martin, oui, absolument, le débat d’idées est essentiel et sain, mais je crois qu’il ne plaît pas à la majorité qui ne supportent pas l’insécurité existentielle qu’il provoque… d’où cette tendance au conformiste. Je te mets d’ailleurs au défi de donner ta prochaine conférence en complet rose 😉 Tu verras comme il est fort ce conformisme.

    Karl, c’est effectivement décourageant, mais je doute que l’on puisse changer ce comportement social. La naissance de multiple communautés sur le Web n’est-il pas le reflet de cette force? On cherche nos semblables, on se regroupe, on se rassure, on est heureux 🙂 Amen

  5. Alain, je ne suis pas sûr que le complet rose soit de l’anticonformisme dans ce contexte: c’est de la provocation, non? Peut-être que ce n’est pas un bon exemple, mais le contenu de la conférence pourrait être anticonformiste tout en étant habillé de façon conformiste.

    Ceci dit, je crois que le propos tourne plus autour de la façon dont une pensée peut être modifiée (sortir du conformisme) et je ne crois pas qu’une méthode frontale fonctionne à merveille. Mais ici on touche à la persuasion…

  6. Martin, mon exemple est douteux, mais ça ouvre effectivement un autre débat sur la persuasion. En bref, j’essaie simplement de démontrer que le conformiste est une « force sociale » toute naturelle au même titre que la gravité et que, par défaut, les gens qui cherche à modifier le « centre de masse social » sont en marge.

  7. Alain, effectivement la «pression sociale» est une force de cohésion plus ou moins puissante selon les individus. C’est intéressant, car justement je crois qu’actuellement, avec la mondialisation, phase ultime de cohésion, on fait arriver les humains à une croisée des chemins. Heidegger parlait du «on» comme d’un mauvais guide. «On devrait faire ceci». Il faut justement trouver de nouveaux chemins, des chemins qu’on n’ose pas emprunter si on veut sortir du bois …

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