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Pourquoi les américains de la classe moyenne votent comme les riches?

Dans un pays aussi inégalitaire et divisé socialement que les États-Unis, pourquoi voit-on des présidents de droite, riches et arrogants, contrôler la Maison Blanche et favoriser les riches au détriment des pauvres?

Vu de l’extérieur, il est difficile de comprendre pourquoi ce peuple réélit un président qui ne leur veux pas du bien, économiquement parlant.

Je suis retombé sur un article en faisant le ménage ce soir (ah! il n’y a pas que des inconvénients à faire le ménage). C’est celui de David Brooks, paru dans le New York Times du dimanche 12 janvier 2003 (p.wk15) : Why middle-class Americains vote like rich people.

Je le citais à mon ami Doum depuis quelques années sans me rappeler la source. En relisant je comprends pourquoi j’ai conservé l’article dans mon press-book : ça décille les yeux! De la Démocratie en Amérique, version Tocqueville 2000

Le top 1 % des plus riches
Le sondage le plus intéressant que l’auteur cite est celui du Time Magazine, accrochez vous : quand on pose la question aux gens s’ils font parti du top 1% des plus riches, 19% répondent affirmatif. Et un autre 20% pensent qu’ils y seront un jour, au courant de leur vie.

J’hallucine.

Donc, si vous êtes vite en arithmétique, dès le départ, on se retrouve avec 40% d’Américains qui ont pensé que quand le parti des démocrates propose de saborder le plan des républicains qui cherche à favoriser le top 1% (avec le estate tax), ils se sentent directement concernés. Trente-neuf pourcent ont tort, pourtant. Mais le vote est comptabilisé dans le mauvais camp.

Le peuple vote selon son aspiration économique
Pas selon leur classe sociale. L’Amérique étant une culture d’abondance, le rêve américain leur fait miroité qu’au-delà de l’horizon, dans la ville d’à coté, dans la prochaine job, l’opportunité sera là, à attendre. Personne n’est pauvre, dit Brooks, tout le monde est « pré-riche ».

Les médias (magazine, télé, etc) présentent abondamment ces riches que tous veulent côtoyer un jour. Quand les démocrates parlent de prendre aux riches pour donner aux pauvres, c’est le rêve américain qui est directement touché.

Les différences de revenus n’est pas un enjeu en Amérique
Vivre avec 125 000$ à Manhattan, entouré de ces choses que l’on ne peut pas se payer, ces richesses ostentatoires et inabordables, crée un sentiment de manque perpétuel. Mais la classe moyenne n’est pas dans cette situation, précise Brooks, elle n’est pas constamment sollicitée par des concessionnaires Lexus à chaque coin de rue, ces restaurants hors-prix, et autres chasse-gardés des riches.

La classe moyenne peut se payer tout se qui se trouve au Wal-Mart. Les restos du coin sont à leur niveau. Dans leur milieu, il est même mal vu de se parader avec une jaguar ou d’avoir son cuisinier personnel. Alors ils ne sont pas confrontés avec ces réalités. Ils ne vivent pas ce cruel sentiment de ne pas avoir ce que l’autre semble posséder aisément. Manhattan et ces autres points de contact avec ce top 1 % sont rares. L’américain moyen vit dans des villes normales comme Nashville.

Les Américains admirent les riches
Brooks raconte qu’à Nashville la famille la plus riche, les Frists, est admirée pour son entrepreneurship et son apport à la communauté. S’ils le pouvaient, ils les éliraient au Sénat. Et c’est ce qu’ils ont fait.

Tant que les riches « restent simples », ils sont admirés. Ce que la classe moyenne n’aime pas ce sont ces journalistes, ces académiciens ou l’élite culturelle qui regardent leur culture de haut. Bush Junior peut couper les taxes pour les riches et apparaître le lendemain dans un centre d’achat de banlieue et manger un hamburger au ketchup. Il s’y trouverait comme un poison poisson dans l’eau. Barbara Streisand, qui a dénoncé ces coupures, ne peut pas en dire autant.

Classes sociales, quelles classes sociales?
La raison la plus importante selon Brooks c’est que les Américains ne voient pas la société comme une pyramide à plusieurs étages, avec les riches sur le dessus, la classe-moyenne au centre et les classes laborieuses en dessous. La catégorisation de Marx n’a jamais été transmise jusqu’à eux.

Non, la société américaine, et Brooks donne une belle métaphore, est une énorme cafétéria d’école où les communautés sont assis chacun à leur table. La mienne ici, la leur là-bas. Chaque communauté est convaincu que la sienne est la plus agréable à vivre et que l’autre là-bas, à Manhattan ou à L.A., fait pitié avec tout son argent, sans amis ni de temps à eux.

S’il n’y a pas de classes, il ne peut y avoir de redistribution de la richesse. Il ne faut surtout pas les empêcher de devenir riche…

Billet original sur http://zeroseconde.com

ZEROSECONDE.COM (cc) 2004-2012 Martin Lessard

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Martin Lessard
Conférencier, consultant en stratégie web et réseaux sociaux, chargé de cours. Nommé un des 8 incontournables du Montréal 2.0 (La Presse, 2010). Je tiens ce carnet depuis 2004.
http://zeroseconde.com

8 thoughts on “Pourquoi les américains de la classe moyenne votent comme les riches?

  1. Extrêmement intéressant. D’autant plus que cette théorie peut s’appliquer mutatis mutandis au Canada. Trudeau s’est fait jadis du capital politique avec ‘la société juste’; Martin à son tour, en promettant ‘d’éliminer la pauvreté des enfants’… Ils ont pourtant plutôt favorisé les plus riches et la population les a quand même réélus! Et au Québec, qui s’enrichit avec les milliards dévolus à la santé et l’éducation du peuple?

    Sans compter l’influence de la publicité et des médias même publics dans ce drôle de phénomène qui nous fait dépenser notre argent durement gagné — acheter, c’est voter — pour l’enrichissement des plus riches (économie transnationale à la Wal-Mart) plutôt que pour s’entraider à devenir moins pauvres chez nous (économie locale)?

  2. Jean, j’apporterai une petite nuance : les politiciens républicains ne mentent pas, ils ne créent pas des écrans: ils disent exactement ce qu’ils vont faire. Le Estate Tax n’est pas un lapin sorti du chapeau, c’était dans le programme! Et le peuple, m’enfin les 40% du peuple qui se pense riche, a voté pour ça, poue se « favoriser », pour « devenir riche ».

    Les exemples pour le Canada me semblent de l’ordre de la tromperie, non?

    Dans le premier cas, on a un vote égoiste, individualiste, dans le second, c’est un vote social, commununautaire détourné, trompé.

  3. Je suis d’accord avec votre commentaire Martin. J’en veux pour preuve que lors de la dernière campagne électorale provinciale, l’ADQ a obtenu jusqu’à 40% des intentions de votes dans les sondages. À partir du moment où les porte-parole adéquistes ont commencé à clamer leur programme sur la place publique ils se sont mis à dégringoler dans les sondages.

    L’équipe Libéral a eu… le bon sens ? la malhonnêteté? de ne pas trop parler de leur programme pendant la campagne et de taire certaines de leurs intentions. Après sa victoire, son chef a pu prétendre pendant des mois avoir un mandat clair pour… réaliser le programme qu’à peu près aucun électeur n’avait lu.

  4. En lisant l’article, il me reste comme un souvenir de prédestination très protestante sur la langue.
    Une sorte de « Éthique protestante et esprit du capitalisme » appliquée un continent entier et de façon un peu psychotique

  5. > Il s’y trouverait comme un _poison_ dans l’eau

    Lapsus de circonstance 🙂

    Le fond est également très intéressant et il confirme parfaitement l’impression que j’ai eu en allant là-bas. Pousser jusqu’à la suppression du concept de classe social ouvre une perspective intéressante. En tous cas, je ne pense pas que ça s’applique au Canada et surtout pas au Québec où les entrepreneurs sont plus souvent vu avec suspicion (comme en France d’ailleurs)

  6. Miguel, très bonne remarque. L’Éthique prostestant doit y être pour quelque chose, il faudrait relire Weber.

    J’ajouterais même que je ne suis pas sûr que Brooks trouvait ça négatif, cette absence de classe.

    J’adhère davantage à la grille marxiste quand il s’agit d’expliquer le social, mais vivant en Amérique, je comprends aussi qu’elle ne s’applique pas aussi efficacement qu’en Europe. Avec Brooks, on peut comprendre une des raisons…

  7. Ach ! Mein freude, Du bist in das feld !
    Warum ? Weil (comme dirait Simone) :
    Régulièrement il y a un taré qui nous ressort que la lutte des classes n’existe plus aux States. Mein arsch ! Quant aux gens de la classe moyenne qui ne seraient pas (ou pas vraiment ?) exposés aux richesses ostentatoires ? Sur quelle planète ils vivent ces gens-là ? Sur une de celle où la télé, les magasines, et toute la scrap publicitaire qui dégouline sur les murs des autres villes de la galaxie ne se rendent pas ? Und meine schwester auch ?
    Brooks aurait pu s’en tenir à cette constatation : la majorité des gens ne cherche pas à défendre les intérêts de sa classe. Pour le reste, il se laisse emporter par son enthousiasme !
    Zo, bis bald mein alter Freund !
    Doum

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